Ce n’est pas un hasard si les deux causes principales de la prostitution à l’échelle planétaire sont aussi les thèmes de la Marche mondiale des femmes en l’an 2000, soit la pauvreté et la violence. L’appauvrissement grandissant des femmes et la violence misogyne qu’elles subissent, de l’enfance à la mort, créent des conditions sans précédents pour l’expansion de la prostitution, de la pornographie et du tourisme sexuel.
Au nom de la liberté des femmes
Que peut bien signifier le beau mot de liberté quand il sert à justifier la prostitution et la pornographie ? Il s’agit plutôt de libéralisation du marché des femmes dont la Hollande, qui a décriminalisé la prostitution et la drogue, constitue le fer de lance. Avec l’effondrement de l’Union soviétique, les managers de l’industrie du sexe ont mis en branle un important trafic de femmes et de fillettes, de Russie et de Pologne vers l’Allemagne et l’Europe occidentale. Des femmes souvent mineures sont soumises à la terreur, dépouillées de leurs papiers et droguées. Lorsqu’elles reprennent conscience, elles ne savent même pas dans quelle ville elles sont. On les déplace ainsi d’un pays à l’autre comme du bétail. Comment ne pas penser à la disparition de Julie Surprenant et de tant d’autres ?
Un vocabulaire trompeur tente de cacher qu’il s’agit d’esclavage et non de liberté sexuelle. On remplace liberté par droit des femmes à l’autodétermination, prostitution par travail sexuel et industrie du sexe. Ces termes " modernes " occultent complètement les rapports de domination qui sont à la base même de la prostitution et le principe universel de l’inviolabilité du corps humain. Les contraintes socio-économiques qui jettent tant de femmes et de fillettes dans les bras des trafiquants sont transformées en consentement de plein gré comme s’il s’agissait d’un choix de travail comme un autre. Plus aucune trace de la convention de 1949 qui stipule que " la traite des êtres humains en vue de la prostitution est incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine ".
L’Occident souteneur
Le tourisme sexuel provient de 54 pays occidentaux, dont le Canada, qui contrôlent la plus grande part de la marchandisation des femmes et des fillettes. Le crime organisé est fortement impliqué dans cette lucrative industrie qui rapporte, en Thaïlande seulement, 1,5 milliard de dollars par an. Les filles ont si peu de valeur que, dans un nombre grandissant de pays, elles sont victimes d’avortements sélectifs, d’infanticide et vouées à la prostitution si elles veulent survivre. La libéralisation économique augmente le nombre d’hommes d’affaires et de vacanciers qui visitent des pays où les divertissements sexuels et surtout la prostitution infantile constituent le principal attrait touristique. Les fillettes commencent à se prostituer entre 9 et 13 ans et 50% à 80% d’entre elles consomment des stupéfiants.
Récemment, le Conseil canadien de développement social révélait que le Canada était devenu l’une des destinations les plus populaires pour le tourisme sexuel. Impossible cependant d’obtenir des chiffres et des faits précis. A-t-on fait disparaître l’information ? Même si le pays s’est doté d’une législation à portée extraterritoriale permettant de poursuivre devant ses tribunaux des ressortissants canadiens qui auraient commis des actes criminels à l’étranger, il n’a encore jamais employé cette législation jusqu’à aujourd’hui.
Sans consommateurs, pas de prostitution
Comme il y a un lien entre la pauvreté et la prostitution, il y en a aussi un entre la tolérance envers la pornographie et l’augmentation de la pédophilie dans les garderies et dans la société en général. Si l’industrie du sexe prospère et tue chaque année un nombre incalculable de femmes et d’enfants du sida, d’une overdose ou des mains d’un "client", c’est que partout au monde, il y a une demande croissante. Et cette demande provient d’hommes de toutes les origines ethniques et de toutes les classes sociales. La seule internationale viable est aujourd’hui celle du sexe et de l’argent. C’est contre cette internationale de la déshumanisation que nous marcherons, en dénonçant la complicité de la majorité silencieuse masculine qui continue à croire que ces " services" lui sont dus aux dépens de la dignité, de l’intégrité et souvent de la vie des femmes et des fillettes de plus en plus jeunes que les trafiquants ont asservies à leurs fins.
Sources : Marie-Victoire Louis, Le corps humain mis sur le marché, Le Monde diplomatique, mars 1997 et les documents du Congrès mondial contre l’exploitation sexuelle commerciale des enfants et de ECPAT (End Child Prostitution in Asian Tourism).
Paru dans l’aut’journal, février 2000.