Le lundi 15 mai 2006, 7 personnes ont décidé d’occuper la Maison des femmes de Paris pour revendiquer des positions qui leur sont personnelles : considérer la prostitution comme un travail, mais ce matin-là elles ont aussi décidé d’être très violentes avec une des militantes de la Maison des femmes. Ces personnes avaient décidé de faire parler d’elles et d’une oppression terrible imposée à des millions de femmes : la prostitution. Mais elles n’avaient pas décidé de dénoncer les prostituteurs, ni les conditions d’esclavage dans lesquelles se retrouvent les prostituées, non ! Elles ont décidé ce jour-là d’insulter, d’humilier, d’agresser et d’imposer des attouchements à une des femmes présentes !!
L’une de ces personnes s’est présentée comme élue de l’UMP, une autre du parti des Verts !! Celles de la Maison des femmes présentes et prises en otages ce matin-là, choquées, s’étonnent encore que des élu-e-s utilisent la violence et l’occupation d’un lieu associatif et subventionné pour exprimer des idées très controversées par ailleurs par les prostituées ou ex-prostituées militantes abolitionnistes.
La Maison des femmes décide de déposer une main courante pour pénétration dans un lieu, usage de la violence et atteinte à l’intégrité des personnes, d’interpeller les partis responsables de ces violence par ses deux élu-e-s présent-e-s.
La Maison des femmes appelle toutes les associations luttant pour les droits des femmes en toutes circonstances, qui subiraient des violences similaires à porter plainte en réunissant les faits.
AUCUNE VIOLENCE N’EST LEGITIME !
Le bureau de la MDF
Site de la Maison des femmes de Paris
COMMENTAIRE DE MATHIEU ARBOGAST
Ce communiqué appelle une information et un commentaire (en dehors de l’utilisation feignante du terme "fasciste", assez puérile lorsqu’elle est lancée à tout bout de champ).
Le mouvement pro-prostitution est entré dans une phase où il se pose en acteur politique, et en agitateur de terrain. Quelle approche politique ? Quelles actions de terrain ? Un début de réponse est fourni par l’actualité (un début, seulement).
L’information, c’est qu’une action a été menée récemment contre la Maison des Femmes de Paris par des militant-e-s pro-prostitution. On peut lire le communiqué de la MdF ci-dessus ou sur le site de la MdF.
Le commentaire, c’est qu’une action de ce type montre une inflexion politique, voire à mes yeux un virage à 180°, de la part du militantisme d’inspiration Act up (je me permets le lien puisque c’est une accointance revendiquée par Les Putes).
Historiquement Act up s’est toujours attaqué aux puissants, au pouvoirs, aux fabricants de médicaments, bref à ceux qui détiennent la force et le pouvoir.
S’attaquer aux féministes montre une inflexion de cette approche.
Le communiqué de la MdF ne précise pas l’identité ou les organisations impliquées dans cette action. Deux personnes s’étant présentées comme élu-e-s (de la majorité et de l’opposition), le pouvoir politique était signalé comme présent dans cette action. A Paris comme un peu partout où des Maisons des femmes existent, le public accueilli n’est pas composé que de militantes, mais aussi de femmes victimes de violences et en situation de précarité. Les femmes sont censées se sentir protégées dans un tel lieu, et une action de ce genre peut mettre en péril le lien avec les personnes accueillies. Question : Pour quelle raison mentionner cette appartenance politique ? Parce que l’action reflète une volonté des partis cités ? On a des raisons d’en douter.
Je passe des faits au commentaire : l’action décrite dans ce communiqué de la MdF montre l’exercice d’une violence physique et symbolique des forts sur les faibles, et l’imposition de ce pouvoir par la force, ce qui à mon avis les rapproche nettement plus du fascisme que les abolitionnistes qu’ils et elles dénoncent. Fin du commentaire.
J’ajoute 2 autres commentaires :
1. Le premier sur la rhétorique politique du tract auquel je réponds ici : « Quelle est donc cette morale qui prétend interdire de baiser en dehors du couple, de sentiments amoureux, avec des inconnus, nombreux, avec ou sans désir, avec ou sans plaisir, juste par intérêt ? Par quel diktat devrions nous subir la même vie sexuelle qu’eux ? Nous finissons par croire, que ce qui les dérange le plus c’est que nous les putes sommes souvent beaucoup plus épanouiEs qu’ils ne le sont. »
Le premier élément est la réduction des 2 adversaires à 1 seul, en assimilant abolitionnistes et prohibitionnistes. On pourra discuter longuement de la pertinence de cette assimilation, qui me paraît abusive. Les prises de positions claires d’abolitionnistes hostiles aux mesures prohibitionnistes (en particulier la pénalisation du racolage passif) ne sont plus à démontrer.
Le second élément est l’attaque contre des abolitionnistes sur leur sexualité personnelle. Si "le privé est politique", en revanche personnaliser les positions politiques et les réduire à des attitudes personnelles opère le mouvement inverse. Pour ma part, je ne vois pas de différence entre les réactionnaires qui disent des féministes "vous êtes des mal baisées" et le contenu de ce tract. On part des positions politiques pour délégitimer et atteindre les personnes individuellement. Les spécialistes du discours politique pourront mettre le nom qu’ils veulent là-dessus, mon opinion est faite pour ma part.
2. Le second commentaire, sur le nom de l’association "les putes". Il y a quelques années, des intellectuelles ont violemment attaqué les abolitionnistes sur le thème "vous parlez à la place des prostituées, c’est scandaleux". Parmi elles, notamment Marcela Iacub, ou la journaliste et écrivaine Catherine Millet (par un point de vue dans Le Monde, par exemple).
Chose certaine, c’est que par un tel nom, l’association revendique de représenter toutes les personnes prostituées. La question de la représentativité est donc posée ipso facto par le choix de ce nom. C’est un choix politique fort. Il implique que s’opposer ou questionner le discours et les positions de cette association revient à s’en prendre en bloc à toutes les personnes prostituées. Il me semble d’ailleurs que c’est effectivement le sens du tract reçu aujourd’hui. (Voir sur le site).
Notes de Sisyphe
– Malka Marcovich a répondu aux propos de Marcela Iacub et de Catherine Millet. Voir cet article.
– Le site "Les Putes" a aussi attaqué personnellement la chercheuse Marie-Victoire Louisen la qualifiant de "putophobe criminelle".
Mis en ligne sur Sisyphe, le 11 juin 2006
Site recommandé
Les Chiennes de garde