La proposition de pénalisation du client de la prostitution suscite la polémique en France depuis plusieurs semaines. Rappelons pourtant que c’est une politique suivie avec succès par un nombre croissant de pays européens.
Depuis que la mission parlementaire sur la prostitution a rendu ses conclusions, les médias crient au scandale : en pénalisant le client, on veut stigmatiser les personnes prostituées, renforcer l’insécurité et les trafics, s’immiscer au cœur de l’intime... on veut, comme l’a écrit le comédien Philippe Caubère, « interdire, réprimer, ostraciser, humilier, frapper au plus intime, au plus secret, au plus fragile, dégrader enfin à travers le désir et le sexe, l’homme, la femme et en jouir... »
Ce que les médias ont « omis » de préciser, c’est que plusieurs pays européens ont déjà adopté cette politique. Car la pénalisation du client, au-delà de la sanction, relève du projet d’une société fondée sur des valeurs de respect et égalité...
La révolution suédoise
En 1999, la Suède fut le premier pays abolitionniste d’Europe à interdire l’achat (et même la tentative d’achat) de services sexuels, quelle que soit la situation de la personne prostituée : « Celui qui, moyennant rémunération, se procure une relation sexuelle occasionnelle, est condamné (...) à une peine d’amende ou d’emprisonnement de six mois ou plus pour achat de services sexuels. » Par contre, la prostitution pas plus que le racolage ne sont passibles de poursuites. La personne prostituée est considérée comme une victime devant bénéficier de programmes d’assistance, de protection et de réinsertion.
En 2010, la Suède dressait un bilan positif. Premier constat, la loi a eu un effet dissuasif sur les clients et la prostitution de rue a diminué de moitié. Par ailleurs, même s’il est difficile de mesurer son évolution en dehors de la sphère publique (appartements, internet), on n’observe pas d’augmentation globale de la prostitution. La loi a donc contrecarré l’implantation des filières de traite.
D’autre part, l’interdiction de l’achat de services sexuels, parce qu’elle a été accompagnée de programmes de sensibilisation de l’opinion publique, a profondément modifié les mentalités et les comportements : les enquêtes montrent que plus de 70% des personnes interrogées ont aujourd’hui un avis favorable sur l’interdiction.
Un modèle qui se diffuse....
Un des premiers effets des actions menées en Suède fut d’amorcer une réflexion dans plusieurs pays européens. En témoigne la multiplication des campagnes de sensibilisation à destination des clients de la prostitution. « C’est parce que tu paies que la prostitution existe », « Tu entres comme client, tu sors comme complice » (Espagne), « C’est honteux d’acheter une femme et ça va se savoir » (Lituanie), « Le vrai homme n’a pas besoin d’acheter du sexe, et vous ? » (Bulgarie). Ce sont là quelques-uns des slogans chocs de ces campagnes, qui visent à dénoncer à la fois la responsabilité du client dans le développement de la prostitution et de la traite et l’absurdité de l’acte même d’acheter du sexe.
Depuis 2000, les textes internationaux - le Protocole de Palerme de 2000 (1), tout comme la Convention de Varsovie de 2005 (2) - établissent clairement le lien entre la demande et la traite et appellent à des mesures concrètes pour décourager la demande. Parallèlement, à la suite de l’exemple suédois, plusieurs pays européens ont adopté des lois mettant en cause les clients de la prostitution.
Dès 2006, la Finlande adoptait une loi instituant une peine de prison pour les clients des personnes prostituées victimes de proxénétisme ou de traite des êtres humains . En 2007, l’Ecosse criminalisait l’achat de services sexuels dans la rue. Le 1er janvier 2009, la Norvège pénalisait l’achat d’acte sexuel sur son territoire comme à l’étranger, pour ses ressortissants. Puis, en avril 2009, ce fut le tour de l’Islande : toute personne qui achète des services sexuels est passible d’une amende et d’un an d’emprisonnement (deux ans si l’achat est effectué auprès d’une personne mineure). Enfin en mai 2009 le Royaume-Uni adoptait une nouvelle loi de pénalisation des clients de personnes prostituées soumises par la force, la tromperie ou les menaces. Aujourd’hui le Danemark, l’Irlande et, peut-être bientôt, la France réfléchissent à une possible modification de leur législation en vue de pénaliser les clients.
Deux philosophies différentes...
Pour autant, toutes ces lois ne sont pas identiques. Si la Norvège et l’Islande ont ouvertement affiché leur volonté de suivre l’exemple suédois et inscrit leurs lois de pénalisation du client dans une lutte plus globale contre les violences faites aux personnes, d’autres pays ont préféré rester dans la demi-mesure. Ainsi, la Finlande et le Royaume-Uni sanctionnent l’achat de services sexuels seulement auprès de personnes victimes de traite ou sous la coupe d’un proxénète.
Outre le fait que cette politique ne résout en rien la violence liée à la prostitution, on peut se demander si de telles « subtilités » ont un sens pour le client : il achète une marchandise, le corps d’une femme, et peu lui importe le parcours de cette femme. On peut aussi s’interroger sur les formes d’application de ces lois : comment la police britannique peut-elle estimer le niveau de contrainte à laquelle est soumise une personne prostituée et justifier l’interpellation d’un client ? Comment, comme le réclame la loi finlandaise, des magistrats peuvent-ils prouver que le client savait que la personne prostituée était contrainte de vendre son corps ?
Aujourd’hui, même si l’on est encore loin d’une prise de conscience collective, le rôle déterminant joué par le client est reconnu et sanctionné par la loi dans plusieurs pays européens. C’est une évolution dont la Fondation Scelles se réjouit. Mais, pour être pleinement efficaces, les messages doivent être clairs. On ne peut pas envisager de lutter contre la traite des êtres humains sans remettre en question l’activité prostitutionnelle dans son ensemble.
La prostitution, quel que soit son contexte, est l’expression d’un rapport de domination. En appelant à une politique de pénalisation de la demande, il s’agit avant tout de promouvoir une société d’égalité et de respect de l’autre. Un seul message doit être adressé à l’ensemble de la société : le corps n’est pas à vendre.
Il est temps que la France s’engage dans cette voie.
CG
Notes
1. Doument PDF.
2. Doument html
Source : La Fondation Scelles
Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 juin 2011