Même si celles qui les portent se taisent et baissent les yeux, les voiles en disent long et n’ont absolument pas froid aux yeux. Arborer un voile dans l’espace public c’est non seulement obéir en tant qu’individu à des prescriptions islamiques, mais c’est avant tout donner forme à un acte social qui a obligatoirement besoin des autres pour faire son cinéma, sur plus ou moins grand écran. Les voiles n’auraient jamais eu de sens ni d’effet si les musulmanes vivaient cloîtrées chez elles. Ils n’acquièrent de sens que si les musulmanes les sortent, les baladent en public et nous les présentent comme matériau d’isolation, de séparation, d’appartenance particulière et de soumission. Le voile islamique a une impérieuse nécessité des citoyens qu’il implique, de bon gré ou malgré eux. Dans une interview intitulée "Est-on raciste si on critique le voile ?", Nadia Geerts fait remarquer, avec justesse, que "L’actualité turque nous démontre que choisir d’arborer le voile ou pas est un acte éminemment politique".
Que pourraient nous taire les voiles ?
Et ce n’est pas qu’en Turquie que le voile signifie plus qu’on ne pourrait penser. En France et en Belgique aussi. Le voile n’est pas un signe religieux neutre et équitable puisqu’il n’a pas d’équivalent imposé aux hommes. Dans la même interview, Nadia Geerts déclare : "Si le voile dérange, c’est parce qu’il ne concerne que les femmes dont il est censé assurer la protection face à des hommes qui sont ressentis comme des prédateurs potentiels". Mme Geerts a ici bien perçu les deux faces du voile : l’une cachée, l’autre perverse et extravertie. La première colle à la peau de celle qui le porte et l’autre - exposée aux regards extérieurs - est celle qui projette une certaine vision de ceux et celles qui la croisent. Mme Geerts aurait pu tout autant constater que les voiles introduisent une dichotomie séparant les femmes en deux catégories : les soi-disant pudiques et les autres, soi-disant impudiques si ce n’est dévergondées.
En privé, dans l’intimité face à Allah, prescripteur du voile, cet accoutrement n’est d’aucune utilité. Comme un manteau, maman, voilée intégrale, l’a toujours accroché pas loin de la porte de sortie. A la maison, il reprenait donc son statut de vulgaire torchon, d’étouffe-musulmane plus ou moins hideux et couvrant. Pour faire sens, le voile a besoin d’un public qu’il faut interpeller, éventuellement provoquer ou même choquer, surtout ici en Europe.
Le voile aime aller au contact de l’adversaire, comme diraient les habitués du rugby. Il ne révèle toutes ses potentialités que lorsqu’il y a entrechoc entre son pouvoir occultant et le regard des autres. Il ne s’agit jamais du regard du premier venu : comme au rugby, il lui faut des “hommes qui sont des hommes”. Pas des hommes de n’importe quel âge ou de n’importe quelle catégorie ; non ! Pour faire sens, le voile exige des hommes post-pubères, des hommes mûrs sans être trop vieux ; des hommes qu’une femme peut intéresser, des hommes aussi étrangers que possible au clan et à la famille de sa porteuse. Le voile est sans conteste un objet dont la teneur sociale est pleine de symbolique sexuelle : sa sémantique voudrait nous expliquer que la femme est si désirable qu’il lui faut nous la cacher.
Son corps est considéré en quelque sorte comme un sexe (‘awra en arabe : partie honteuse), de la pointe des orteils à la cime des cheveux ! C’est en cela que le voile est absolument pervers. Il matérialise une vision malsaine et dégradante des femmes et des filles qui le portent et une vision exécrable des autres. Pour nous pourir la vie tout en nous culpabilisant, il procède de façon séparatiste et ségrégationniste. C’est une cloison qui s’interpose entre des êtres humains pour considérer et montrer publiquement qu’ils sont des êtres un peu plus étrangers au clan et à la famille. Ils seront ainsi un peu plus exclus, un peu plus rejetés du gynécée que la musulmane est sencée ne jamais quitter même en sortant de chez elle.
Côté intime, les voiles cachent le corps de la femme, considérée comme facteur de trouble dans l’espace public et, côté face, publiquement affichée, il considère les hommes comme des sauvages, dont la libido est si débordante qu’ils seraient incapables de respecter la femme étrangère au clan si elle n’a pas recours à un écran occultant. Qu’espèrent-ils cacher à nos yeux ? Serait-ce ce que toute l’humanité a de tout temps considéré comme beauté naturelle de sa douce moitié ? Les voiles informes, surtout lorsqu’ils sont intégraux, ne seraient-ils pas tout simplement des écrans de laideur ? Ne seraient-ils pas l’expression publique d’une négation de la douce moitié de l’humanité ? Une volonté de nous culpabiliser et de nous humilier au point de nous couper avant de vouloir faire disparaître notre moitié de la vie normale de tous les jours ? En tout cas, ayant vu et vécu la séparation des êtres et les voiles de toutes les tailles en Afrique du Nord, je ne peux que répéter ici ce que j’ai souvent écrit : voiles, burkas et tchadors, je vous hais !
L’introduction des voiles dans notre espace de convivance, surtout lorsqu’il s’agit de voiles intégraux ou de burkas, n’est pas sans conséquences sur le vivre-ensemble. Quelle que soit notre sensibilité (si tant est que nous en avons encore), nous ne pouvons faire semblant de ne pas les voir ; comme s’ils n’existaient pas. Ainsi, les cloisons qui s’érigent unilatéralement face aux autres concitoyens et aux autres êtres humains ne peuvent en aucun cas laisser intacte notre vision et nos représentations de la société. Ces murs ambulants transfigurent à tout jamais notre espace, non seulement esthétique, mais aussi éthique : ils en chassent les quelques restes de convivialité et de spontanéïté qui pourraient fluidifier et rendre agréable notre quotidien. En présence des voiles, surtout intégraux, cet espace commun n’est plus du tout équitablement partagé ni respectueusement agencé. Une certaine loi issue de la nuit des temps y fait irruption et la guerre des sexes y est ouvertement déclarée. Les voiles cassent irrémédiablement quelque chose en notre humanité et détériorent à tout jamais les relations entre les hommes et les femmes. Ils mettent des barrières entre les êtres dans un espace public sensé nous réunir et nous ouvrir au monde, aux êtres qui nous entourent.
Comme le font les contradicteurs de Riposte Laïque, nous pouvons toujours tenter de désigner les voiles comme de simples signes religieux, ils ne seront jamais une simple affaire personnelle qui n’impliquerait que la femme et la fillette qui les portent sans porter atteinte à la dignité et à l’humanité que nous partageons avec elles ni sans devoir nous réserver une case et un rôle dans une vision perverse de la société humaine. Sans mot dire, les voiles nous impliquent, contraints et forcés d’adopter un autre regard et des attitudes obéissant, au bout du compte, à des injonctions de l’islam. Que nous soyons nationalistes d’extrême droite, du mouvement démocrate ou bien de gauche, nous ne pouvons que contater la distance symboliquement infranchissable qui est immédiatement instaurée entre les femmes musulmanes obéissant aux lois du ciel et tous les hommes étrangers à leur clan et à leur famille sans parler de leur communauté.
Qu’on le veuille ou pas, les voiles s’imposent toujours comme affaire de toute la communauté humaine dans laquelle ils s’introduisent. En les prescrivant, l’islam ne s’y est pas trompé : ils donnent à la religion, à ses tenants et à ses éventuels représentants un outil de contrôle social d’une terrible efficacité : les voiles font semblant de ne dire mot alors qu’ils étalent au grand jour leur vision perverse des hommes et des femmes.
L’auteur est l’initiateur de Nouvel islam et collaborateur de Riposte laïque.
Reproduit du site Riposte laïque avec autorisation des éditeurs de ce site.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 novembre 2007