Chaque jour apporte des nouvelles toutes fraîches. Le Chili a sauvé ses 33 mineurs en les sortant du trou, Quebecor a choisi d’enterrer ses travailleurs après 21 mois de lockout. Le Canada a été humilié à l’ONU, un parti politique inexistant pourrait gagner la prochaine élection au Québec et le gouvernement libéral creuse sa tombe avec la loi 103 sur les écoles passerelles.
Par ailleurs. Linda Spear, une enseignante à la retraite de Sutton, est devenue prêtre il y a quelques jours. Ordonnée par le Roman Catholic Women Priests, organisme non reconnu par le Vatican, elle a retenu mon attention. Elle est la première femme prêtre du Québec, mais elle risque l’excommunication de l’Église catholique pour ce choix qu’elle a fait. Je n’ai pas pu m’empêcher de me demander ce qu’elle allait faire dans cette galère.
Je sais bien qu’elle n’est pas la seule femme à souhaiter accéder à la prêtrise et que d’autres femmes s’y préparent. Plusieurs sont déjà théologiennes et certaines espèrent qu’un jour l’Église leur reconnaîtra l’égalité qu’elles réclament. Le problème, c’est que je ne suis pas du tout sûre que ce soit là une égalité souhaitable. Je m’explique.
Bien sûr, vous me direz que l’égalité, c’est l’égalité, et qu’il ne faut pas lever le nez sur celles qui nous sont offertes parce que la lutte a été longue et difficile et qu’il faut saisir toutes les égalités qu’on nous propose. Mais je crois que nous avons le droit de dire non à celles qui ne sont pas dignes de nos revendications. Nous pouvons passer notre chemin sans les regarder.
J’ai toujours pensé que les religions, toutes les religions, portent la responsabilité d’avoir gardé les femmes dans un état de soumission et de mépris et d’en avoir fait des servantes. Les religions ont proclamé, depuis des siècles et des siècles, la supériorité des hommes sur les femmes en faisant d’eux les maîtres de l’univers.
J’ai espéré voir le jour où les religions feraient enfin leur examen de conscience et ouvriraient leurs portes aux femmes. Les hommes qui dirigent ces puissances religieuses auraient préalablement présenté leurs excuses à toutes les femmes du monde pour tout le mal qu’ils avaient colporté sur elles et toutes les douleurs qu’ils leur avaient imposées à travers le temps. Et j’espérais que le jour où les religions offriraient aux femmes de prendre leur place parmi les hommes qui disent représenter Dieu sur Terre, les femmes leur tourneraient le dos sans vouloir partager ce pouvoir masculin qui les a tant opprimées.
L’égalité qu’on acquiert au prix du passage dans le camp de l’oppresseur n’est pas l’égalité. Accepter un poste dans les hiérarchies religieuses telles qu’elles existent, c’est d’une certaine façon, trahir les autres femmes. Ce n’est pas un gain, c’est en fait « passer à l’ennemi ». Comme en temps de guerre, quand un individu devient collaborateur.
J’ai eu exactement la même réaction quand l’armée a ouvert ses portes aux femmes, là aussi sous prétexte d’égalité. Je me suis dit que les femmes n’avaient pas à faire les guerres des hommes, surtout qu’elles ne participent pas aux décisions qui mènent à la guerre. Même chose pour les religions.
Que des femmes aient la foi, qu’elles prient le dieu qui leur convient, me paraît aller de soi. C’est la liberté de chacune. Mais qu’une femme devienne prêtre dans l’état actuel des religions dans le monde... je ne crois pas que ce soit un pas vers l’égalité.
Pour que ce soit acceptable, il faudrait qu’une réforme en profondeur ait eu lieu. Il faudrait que les différentes Églises aient reconnu leurs erreurs et leur formidable participation au rabaissement des femmes dans le monde entier. Il faudrait surtout que ce formidable pouvoir des hommes, avec ses hiérarchies mâles, ait implosé, ce qui finira peut-être par arriver.
Mais ce n’est pas demain la veille parce que ces vieilles structures de pouvoir, qui ont des tentacules dans le monde entier et qui n’hésitent pas à se déplacer avec leur message de soumission chaque fois que des populations paraissent assez vulnérables pour être réceptives, sont plus solides qu’on ne le croit. Pas de planification des naissances, pas d’avortement, pas d’égalité. Juste des femmes à genoux pour servir le Dieu des hommes.
Il paraît que le Saint-Siège a reconfirmé récemment que l’ordination d’une femme est un crime aussi grave que la pédophilie. Le Saint-Siège ne semble pas savoir que le ridicule ne tue pas, mais qu’il affaiblit.
Je souhaite quand même bonne chance à Linda Spear. Elle vient de recevoir un cadeau empoisonné. Si elle ne le sait pas encore, elle le découvrira bientôt. Les femmes sont sur la route de l’égalité. Mais pas de cette égalité-là. En fait, les femmes n’ont jamais voulu devenir des hommes. Ni dans l’armée, ni dans l’Église... ni ailleurs. Elles sont femmes et égales. Et elles le restent.
Publié dans Le Devoir, le 15 octobre 2010
Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 octobre 2010