Réponse de Michèle Vianès, présidente fondatrice de Regards de femmes, à la suite de la remise par Fadéla Amara des insignes de la Légion d’Honneur.
« Dans ces temps présumés de paix, la guerre est idéologique et insidieuse. Donc je me bats, avec des mots, pour empêcher justement la perversion des mots. La guerre dite de « liberté » consiste aujourd’hui à ne pas être dupes du discours de celles qui prétendent avoir choisi leur servitude, ou qui voudraient que leur choix personnel devienne un droit que la République doit leur consentir, qui réclament la liberté d’être opprimée, soumise. Et surtout ne pas être complices de leurs suborneurs, qui pour garder le pouvoir, leur font avaler ces fadaises. »
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Madame la Ministre, très chère Fadéla,
Ma chère Dominique,
Mesdames et Messieurs les parlementaires, présents ici ce soir ou retenus dans leur circonscription et qui m’ont adressé de chaleureux messages
Mesdames les élues,
Chers amis,
Je dois cet honneur à toutes les personnes rencontrées, ma famille, mes amies, mes ennemis aussi, et surtout… ils ont prouvé que je savais me battre pour mes convictions, mes amours, André bien sûr, qui me supporte, dans tous les sens du terme depuis 35 ans, Aurélien et Clément, qui me supportent depuis moins longtemps, mes professeurs, mes lectures, mes maîtres et maîtresses à penser, Louise Labbé, Christine de Pisan, Gabrielle Suchon, Marie de Gournay, Madame de Sévigné , Emilie du Chatelet, Madame de Staël, Olympe de Gouges, Louise Michel, Hubertine Auclert, Marie Curie, Simone de Beauvoir, auxquelles j’associe naturellement Yvette Roudy, qui m’a tant appris, et Simone Weil, je n’oublie pas les féministes au masculin, pour reprendre l’expression de Benoîte Groult, Poulain de la Barre, Helvétius, Voltaire, Condorcet, John Stuart Mill.
Toutes ont une part dans cette distinction, qui concerne les militaires et les civils, la plus haute décernée par la République, et en plus, par l’entremise de Fadéla.
Elle m’a été attribuée sans doute pour ma capacité à défendre partout et toujours mes convictions, à les transmettre, à mes élèves d’abord en tant qu’enseignante pour permettre à chacun et à chacune d’ouvrir le champ de leurs possibles, en fonction de leurs capacités et de leurs goûts, leur apprendre à se passer de maîtres, mais également au plus d’hommes et de femmes possible, par mes actions pour l’égalité en droits, devoirs et dignité des femmes et des hommes, en tant que responsable d’associations, Regards de femmes, la Coordination française pour un lobby européen, Association des conseillères et conseillers municipaux du Rhône, marraine de Ni putes ni soumises, depuis l’origine du mouvement, en tant qu’élue, adjointe un moment, c’est à suivre…, en mettant à la disposition de mes concitoyens et concitoyennes des espaces républicains dans lesquels le lien social peut se construire.
Je dois peut-être cette distinction à ma capacité à savoir dire non, à ne jamais accepter la loi du plus fort, du plus riche, du plus vociférant. La raison de mon engagement lors des élections européennes avec Debout la République.
Je voudrais donc ce soir rendre un hommage, ou un « femmage », à Angélique Duchemin, première femme distinguée et décorée de la Légion d’Honneur par le Prince président Napoléon en 1851. Elle était vétéran des guerres de la Révolution, engagée à 20 ans et participant pendant 6 ans, jusqu’en 1798, aux campagnes, dans la guerre dite de « liberté ».
Je suis très fière d’être aux côtés, héritière en quelque sorte, de celles qui se sont battues contre les ennemis de la France, mais aussi de celles qui ont refusé le machisme ambiant et l’enfermement des femmes, telle Rosa Bonheur, connue pour ses peintures animalières, mais qui tous les 6 mois renouvelait inlassablement sa demande de pouvoir porter le pantalon.
Sans fausse pudeur, mais proportion et respect gardés, je m’inscris dans la lignée de ces résistantes. Dans ces temps présumés de paix, la guerre est idéologique et insidieuse. Donc je me bats, avec des mots, pour empêcher justement la perversion des mots. La guerre dite de « liberté » consiste aujourd’hui à ne pas être dupes du discours de celles qui prétendent avoir choisi leur servitude, ou qui voudraient que leur choix personnel devienne un droit que la République doit leur consentir, qui réclament la liberté d’être opprimée, soumise. Et surtout ne pas être complices de leurs suborneurs, qui pour garder le pouvoir, leur font avaler ces fadaises.
Rappeler le sens des mots est indispensable. La devise de la légion d’honneur est « honneur et patrie ». Patrie est bien un mot galvaudé, méprisé, alors que l’association des notions de patrie et de liberté a été une des forces motrices de la Révolution. Chevalier de Jaucourt, dans l’Encyclopédie, (1765) « (La Patrie) est une terre que tous les habitants sont intéressés à conserver parce qu’on n’abandonne pas son bonheur, et où les étrangers cherchent un asile ( ... ) L’amour qu’on lui porte ( ... ) est l’amour des lois et du bonheur de L’État ( ... ) Le dernier homme de L’État peut avoir ce sentiment comme le chef de la République. »
Si Rouget de Lisle nous fait toujours chanter l’amour sacré de la Patrie, si Saint-Just, nous rappelle que « c’est le sang, le sol et la communauté d’affection », les révolutionnaires, dans la Déclaration de 1789 lui ont préféré le mot Nation : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, La Nation si bien définie dans sa dualité par Renan : « Une nation est une âme ; un principe spirituel, … Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé, elle se résume pourtant dans un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. »
Ce dénigrement des mots patriotisme, nationalisme se retrouve aujourd’hui dans le mépris avec lequel les obscurantistes tentent de ringardiser les plus récentes constructions de la raison humaine, héritières des Lumières et de la grande Révolution, la Nation de Valmy, la laïcité et le féminisme.
Quant à l’honneur, c’est le sentiment que l’on a de sa propre dignité ou la gloire issue d’une action. La gloire consisterait-elle à brutaliser, à violenter sa femme, ses filles, ses sœurs ? Comment ose-ton parler de crime d’honneur, honneur de qui, l’honneur de la famille placé entre les cuisses des femmes ?
Comment ne pas penser ce soir à Fatima, cette jeune fille qui à Oullins, le 1er juillet, à été immolée, peut-être par son frère, présumé coupable, parce qu’elle voulait vivre son amour hors des coutumes ancestrales, fière d’avoir trouvé du travail et qui voulait partager cette fierté avec sa famille. Fatima, nous ne te laisserons pas seule et nous serons là.
L’honneur de la République est de condamner les crimes, de les poursuivre et de protéger chaque personne, y compris faut-il le dire, les filles, sur tout le territoire.
Sois assurée, Fadéla, que cette médaille que tu viens d’accrocher sur ma poitrine, augmentera encore mon énergie. Blessée, à vrai dire légèrement, non pas de guerre, mais dans les parcours du bénévolat associatif, je continue à transmettre partout et toujours l’idéal républicain, laïque, féministe et social, que j’ai eu la chance de trouver en naissant, dans un protectorat français, dont la citoyenneté m’a créé des droits et surtout… des devoirs.
Il est de mon devoir, de notre devoir, de le transmettre aux jeunes générations. Et de ne pas oublier que nous en sommes également comptables vis-à-vis des femmes et des hommes qui se battent partout dans le monde en sachant que leur idéal est possible, puisqu’il figure hautement dans la Constitution de la France et son histoire.
Nous ne laisserons pas les obscurantistes éteindre les Lumières. Merci Fadéla d’avoir assumé, d’avoir assuré la dignité de la République. Au fond, mes amis, nous sommes là, libres et égaux, dans la fraternité de la République
Michèle Vianès
Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 octobre 2009
Site de Regards de femmes. Regards de femmes a obtenu en 2009 la reconnaissance en tant qu’ONG avec statut spécial au Conseil Economique et Social de l’ONU.
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