« Faire connaître les valeurs communes aux nouveaux arrivants ».
Le document déposé par la ministre Yolande James, le 30 octobre dernier, fait état de la volonté gouvernementale de bien (ou de mieux) informer les candidat-es à l’immigration sur les valeurs québécoises qu’il présente ainsi :
L’exercice des droits et libertés de la personne doit se faire dans le respect de ceux d’autrui et du bien-être général.
La société québécoise est aussi régie par la Charte de la langue française qui fait du français la langue officielle du Québec.
Ces valeurs forment en principe un très beau socle commun. L’intention est bonne, mais l’opération laisse perplexe. Malheureusement, je crois que le gouvernement commence à l’envers une essentielle campagne pour faire connaître ces valeurs à l’ensemble de la population.
L’absence d’information sur ces valeurs aux Québécois-es né-es ou déjà installé-es au Québec
Toutes celles et ceux qui ont suivi la saga des accommodements « raisonnables » savent que ce ne sont pas surtout les Néo-Québécois-es qui sont demandeurs des dérogations litigieuses, mais bel et bien des gens nés ici. Comme l’a fait la Commission Bouchard-Taylor, le gouvernement québécois impute aux seuls immigrant-es la responsabilité du problème lié, non pas aux valeurs québécoises, mais à la compréhension élastique et variable que les diverses institutions en ont. Rien dans les documents déposés cette semaine ne laisse voir les moyens que prendra le gouvernement pour informer avec autant de sérieux les personnes vivant déjà au Québec.
Le contrat
Le gouvernement propose que les candidat-es à l’immigration s’engagent à respecter les valeurs communes québécoises en signant une déclaration à cette fin. Dans la mesure où on ne peut réellement imposer de sanctions si ces valeurs ne sont pas respectées - à moins qu’il n’y ait de geste illégal, comme de contracter une union polygame - une telle entente risque fort d’être rapidement discréditée.
On pourrait peut-être commencer par demander aux candidat-es à l’immigration de signer une déclaration, dans leur propre langue (après tout, ils sont encore dans leur pays à cette étape), faisant foi qu’ils et elles ont bien pris connaissance et bien compris ce que signifient ces valeurs. Au moins, ultérieurement, certain-es ne pourraient invoquer leur méconnaissance ou le manque d’information pour justifier d’éventuels gestes inacceptables.
Mieux définir ce que signifient ces valeurs communes
Dans le document Affirmer les valeurs communes de la société québécoise(1), du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, on lit que le Québec est un État laïc et que ses institutions le sont aussi. Mais cela veut-il dire, comme le souhaitaient les co-présidents de la Commission Bouchard-Taylor, que les fonctionnaires peuvent tout de même arborer des symboles religieux dans l’exercice de leurs fonctions ? Il est vrai que les décisions judiciaires actuelles protègent le port de ces symboles, qu’ils soient des « obligations religieuses » réelles ou non. Souhaite-t-on continuer dans ce sens ?
Cette laïcité autorise-elle des villes à céder aux revendications de groupes religieux qui exigent des bains publics non mixtes ? Un citoyen peut-il invoquer sa religion pour ne pas avoir à transiger avec une femme fonctionnaire ? Une policière peut-elle invoquer sa religion pour ne pas travailler avec un policier masculin, comme cela vient d’être le cas à Toronto ?
Concernant l’égalité entre les femmes et les hommes, on connaît la difficulté qu’ont les femmes à obtenir une véritable égalité de fait. Par ailleurs, on a vu des institutions publiques, comme la Société d’assurance automobile du Québec, remplir leur « obligation » d’accommoder en discriminant les femmes. La récente modification apportée à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, en juin 2008, devrait faciliter le respect de cette égalité par les institutions. Il faudra voir l’efficacité de cet amendement dans l’avenir.
Bref, les documents ne sont pas clairs sur l’importance réelle de la laïcité et des droits des femmes face aux « obligations religieuses ». Ce n’est pas étonnant puisque le Québec lui-même n’a pas statué clairement sur ces questions.
Commencer par le début
S’il veut vraiment consolider les valeurs communes du Québec, le gouvernement devrait commencer par le début :
au besoin, en invoquant la clause « nonobstant » concernant l’interprétation de la liberté religieuse par la Cour suprême et pour se soustraire à « la suprématie de Dieu » invoquée dans la Charte canadienne des droits et libertés.
Le gouvernement devrait aussi faire une campagne non seulement contre le racisme et les discriminations mais également pour faire connaître auprès de tous les citoyen-nes les valeurs fondamentales de la société québécoise dont découle la lutte au racisme et à la discrimination. Le gouvernement devrait également diffuser ces valeurs non seulement dans les documents destinés aux futur-es Québécois-es, mais également dans son portail Web.
Enfin, comme le Québec écrème littéralement les pays, dont ceux en voie de développement, en vue de recruter notamment des immigrant-es très haut de gamme, il a le devoir de lever les principaux obstacles à l’intégration au marché du travail, en particulier en ce qui concerne la reconnaissance des diplômes et des expériences. Il a aussi l’obligation de vérifier que ses engagements sont bien relayés par les employeurs qui, actuellement, ne sont pas eux-mêmes liés par les engagements du Québec.
Quand tout cela aura été fait, on pourra réellement être en mesure de mieux faire reconnaître nos valeurs communes par les futur-es Québécois-es. Et pas nécessairement à la veille d’une élection…
Note
1. Document en pdf à télécharger <http://www.micc.gouv.qc.ca/">
sur le site du ministère, section Publications.
– Diane Guilbault est l’auteure de Démocratie et égalité des sexes, publié en octobre 2008 aux éditions Sisyphe. Voir l’information sur ce livre, que votre libraire peut commander pour vous.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 novembre 2008