Vous pouvez appuyer le projet de loi 21 plus bas dans cette page.
La mobilisation contre le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État s’organise et s’internationalise, au nom de la protection des minorités et particulièrement des femmes musulmanes, supposément menacées par la loi. Pourtant, il faut bien reconnaître que cette loi est légitime et qu’elle fait preuve de modération et de compromis. En effet, la restriction de signes religieux prévue est limitée à certains fonctionnaires de l’État, dont les enseignantes dans les écoles publiques, tout en reconnaissant les droits acquis des personnes déjà en poste.
Il est fort regrettable qu’une partie de la gauche antiraciste, représentée par Québec solidaire et de nombreux intellectuels, ait choisi de monter aux barricades pour s’opposer à cette loi, en refusant toute restriction de signes religieux, y compris l’exigence du visage découvert. On croit rêver en entendant des féministes se porter à la défense du « droit » au hijab et même au niqab, au nom de la liberté des femmes de porter ce qu’elles veulent. Cette position radicale dénote une incompréhension des enjeux liés à l’islam politique qui menace toutes les libertés.
Détournement de sens : le hijab, symbole de liberté ?
Rappelons que la sacralisation du hijab est relativement récente et intimement liée à l’émergence de courants intégristes qui représentent l’extrême droite religieuse. L’insistance sur le port du hijab ou du niqab est justifiée par une lecture rigoriste et controversée des textes sacrés, selon laquelle le corps des femmes est « awra », qui signifie honteux ou impudique, et qu’il doit être soustrait au regard des hommes pour éviter de susciter leur désir et de provoquer la « fitna », qui désigne le chaos social.
C’est à partir des années 1970 que des groupes organisés, largement financés par les pétrodollars, ont martelé ce discours misogyne, qui a réussi à faire du hijab un symbole de piété et de vertu pour les femmes musulmanes, tout en dénigrant celles qui refusent de le porter. Outre l’obsession de ces groupes avec le hijab, ils ont réussi à promouvoir une vision réductrice du rôle des femmes qui insiste également pour placer le religieux au cœur de tout système juridique et politique, ce qui nie les principes de démocratie et d’égalité.
Cette vision patriarcale, théocratique et liberticide est de plus en plus combattue au sein des sociétés musulmanes, avec l’appui de penseurs islamiques prônant une lecture plus ouverte des textes sacrés et plus respectueuse des droits humains. Les conflits actuels déchirant les sociétés à majorité musulmane découlent en grande partie de cette lutte idéologique, dont le symbole le plus visible est le hijab, sous toutes ses formes. Il est illusoire de croire que le Québec serait à l’abri de ces courants rigoristes, dont l’influence se propage partout à travers les mosquées réelles et virtuelles.
Compte tenu du contexte transnational, l’argument féministe en faveur de ce symbole, lourd de sens, sous prétexte de vouloir respecter « la liberté des femmes de porter ce qu’elles veulent », est fallacieux. Bien que plusieurs femmes musulmanes vivant dans des pays occidentaux aient choisi de se soumettre à cette norme, par conviction religieuse ou par désir d’affirmation identitaire, peut-on réellement parler de liberté en lien avec le hijab ou le niqab ?
Cette position ignore totalement le fait que l’insistance sur le hijab s’accompagne systématiquement du dénigrement des musulmanes qui refusent de le porter ou qui décident de l’enlever. Il s’agit donc moins ici de la liberté des musulmanes, supposément menacée par cette loi, que de la liberté des imams de dire aux femmes quoi porter, sous peine d’être stigmatisées et traitées de femmes de petite vertu.
Ainsi, la propagation du hijab, devenu symbole de piété et de vertu, et sa légitimation morale au sein d’une société, représente une menace pour les femmes musulmanes qui refusent ce symbole, car ces dernières subissent alors des violences symboliques et réelles de leur entourage. On ne peut nier ce type de menace, en arguant « pas d’amalgame » avec ce qui se passe ailleurs, d’autant plus que les immigrant.e.s gardent des liens étroits avec leur pays d’origine. Par conséquent, la solidarité féministe exige une meilleure connaissance de cette réalité complexe et une vision globale permettant de tenir compte des implications à long terme des positions qu’on voudrait défendre au nom de la liberté.
Une opposition mal avisée
Paradoxalement, les opposants au projet de loi 21 dénoncent « l’obsession identitaire » des partisans de cette loi, alors que l’obsession identitaire de ceux et celles qui insistent sur le port du hijab (ou du niqab) ne semble nullement les déranger. De plus, alors que ces opposants dénoncent, à juste titre, les courants issus de la droite religieuse ou politique au sein des pays occidentaux, ils n’hésitent pas à faire alliance avec des individus et des groupes liés au courant de l’islam rigoriste qui se situe à l’extrême droite du spectre politique. Cette opposition mal avisée ne fait que renforcer le courant idéologique, misogyne et liberticide, qui instrumentalise l’islam pour accroître son pouvoir, ici comme ailleurs, et qui influence les rapports sociaux dans un sens inégalitaire.
Ces graves incohérences de la gauche, qui se veut inclusive en refusant toute interdiction de signes religieux, n’est pas sans conséquences et seraient même contre-productives à long terme. Il y a des limites à faire abstraction des réalités complexes du monde réel, en se voilant la face avec des arguments vertueux, basés sur l’inclusion et l’antiracisme, sous prétexte de défendre le droit des minorités.
Instrumentalisation et manipulations idéologiques
Il faut cesser d’instrumentaliser les femmes voilées, en alimentant les peurs déraisonnables et les sentiments victimaires des minorités. Ce n’est pas ce projet de loi qui les menace, mais le climat social rendu toxique par des accusations injustifiées de racisme à l’encontre de l’ensemble de la société québécoise.
La mobilisation contre le projet de loi ne rend nullement service aux minorités ni aux femmes musulmanes qu’elle prétend vouloir défendre. Bien que cette stratégie ait réussi en 2014 à chasser le PQ du pouvoir, en mobilisant l’opinion public contre son projet de charte des valeurs qui ratissait trop large, une telle stratégie a eu des effets pervers. La défaite du PQ et les accusations intempestives de racisme à l’encontre des courants qui défendent la laïcité auront nul doute contribué à alimenter l’islamophobie et l’hostilité à l’égard des musulmans. De plus, cette manipulation idéologique partisane n’a fait qu’alimenter les sentiments victimaires et le repli identitaire de part et d’autres, apportant ainsi de l’eau au moulin du courant marginal de suprémacistes blancs qui menace la paix sociale.
Il faut tirer les leçons des erreurs du passé. Si la mobilisation actuelle réussissait à entraver l’adoption du projet de loi 21 tant attendu, cela risquerait de gruger davantage le tissu social déjà fragilisé. Les opposants progressistes feraient mieux d’exprimer leur solidarité avec les nombreux citoyens et citoyennes musulmans qui soutiennent ce projet de loi. Ces derniers estiment que l’affirmation du principe de laïcité représente le premier rempart (quoique non le seul) contre le courant transnational de l’intégrisme religieux qui menace leurs droits et libertés. Les médias doivent agir de manière éthique et responsable en cessant d’amplifier les accusations injustifiées de racisme.
D’autre part, une vigilance accrue s’impose pour éviter toute attitude ou propos injurieux ou dénigrant à l’égard des femmes portant le hijab ou le niqab. Ce débat d’idée doit se faire dans le respect total de la dignité des personnes.
Par ailleurs, la CAQ a l’obligation morale d’accompagner cette loi de mesures effectives visant à combattre les discriminations à l’égard des immigrants et des minorités. Hélas, M. Legault n’a montré aucune empathie envers les immigrants et les minorités, nourrissant du coup la suspicion à l’égard de sa loi.
* Une version raccourcie de cet article a paru dans Le Devoir du 10 avril 2019. On peut consulter le texte même du projet de loi 21 ICI.
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