Au bout d’un long processus de laïcisation, c’est la Cour supérieure du Québec qui ramène « la suprématie de Dieu » dans le domaine de l’éducation. Le système scolaire n’est plus confessionnel depuis l’amendement constitutionnel de 1998 par lequel les catholiques et les protestants ont renoncé à leurs droits pour faire de l’école un lieu où l’appartenance religieuse n’avait plus d’importance. En dépit de cette évolution, le ministère de l’Éducation, des Loisirs et des Sports (MELS) a instauré un programme obligatoire d’Éthique et culture religieuse (ÉCR) qui s’échelonne sur dix années du primaire et du secondaire. Ses initiateurs voulaient que ce programme enseigne la « culture religieuse » pour développer « les aptitudes nécessaires au “vivre-ensemble”, dans le contexte d’une société diversifiée » (Bouchard-Taylor, p.141).
Un cours qui divise
Jusqu’à maintenant, ce programme a surtout été une pomme de discorde. Des parents catholiques, dont les enfants sont inscrits à l’école publique à Drummondville et à Granby, ont demandé à la Cour supérieure que leurs enfants soient exemptés des cours d’ÉCR. Ils ont été déboutés en Cour (et ils iront probablement en appel). Loyola High School, une école privée catholique, ne veut pas dispenser ce cours parce qu’elle le juge « relativiste et laïque » et, donc, contraire au catholicisme qui anime toute la vie de l’école. Invoquant des raisons administratives, la Cour supérieure annule le refus d’exemption que leur a servi le MELS. Le tribunal prouve ainsi que « le cours ÉCR qui devait assurer le “vivre-ensemble” des élèves » divise plutôt qu’il ne rassemble. Pis encore, ce jugement de la Cour supérieure ouvre la porte à un buffet de revendications de toutes tendances par les parents et les écoles, et ce, aux frais des contribuables.
Ainsi, la querelle au sujet de la religion à l’école est maintenant judiciaire. Elle est aussi législative. Les projets de loi se succèdent pour tenter de colmater les brèches et de régler le plus pressé. En effet, depuis la commission Bouchard-Taylor, il s’est installé au Québec une mentalité qui empêche d’appliquer la véritable solution : on accommode plutôt que de laïciser. Vincent Marissal écrit avec beaucoup d’à propos que « Québec, incapable de se résigner à sortir complètement la religion des écoles, a créé il y a quelques années un cours, Éthique et culture religieuse, une espèce de compromis, un fourre-tout gentil, empreint de rectitude politique. » (La Presse, 23 juin)
À propos de ce cours ÉCR, on peut justement se demander quel esprit tordu a eu cette idée que la culture n’est que religieuse et que tous se définissent et se comprennent à travers leur religion. Félix Leclerc, Paul-Émile Borduas et la pléiade de ceux et celles qui ont nourri notre culture n’étaient pas des hommes d’Église. Dans toute culture, qu’elle soit juive, arabe, indienne, autochtone ou celle des différents peuples chrétiens, il y a autre chose que la religion. La culture, c’est bien plus que la Torah, la Bible, le Coran et les Upanishads. S’il est bon de connaître ces livres, il est bon aussi de savoir que la culture ne se limite pas à eux.
Impossible impartialité
Dans la cause Loyola High School vs le MELS, plaidée devant la Cour supérieure, une des raisons invoquées par le juge pour débouter le MELS est cette idée que l’enseignant doit donner un tel cours sans prendre position. Pour le projet éducatif catholique du Loyola High School, cela est une atteinte à la liberté d’expression religieuse et une bonne raison de ne pas donner ce cours tel que le voudrait le MELS.
De même, pour les tenants de l’école laïque, c’est aussi une bonne raison de ne pas donner ce cours. En effet, la méthode « d’impartialité » est également une atteinte à la conscience professionnelle des professeurs de l’école publique qui se retrouvent ainsi bâillonnés et censurés dans leur devoir de présenter et de critiquer les religions, comme cela se fait en littérature ou en histoire. Ils se retrouvent aussi bâillonnés dans leur responsabilité de mener les étudiants à développer leur sens critique puisqu’ils sont empêchés de parler, entre autres, des persécutions des religions « païennes » par les chrétiens à partir du IVe siècle, des juifs persécutés par les chrétiens ici et là de temps à autre, de l’Inquisition, des Croisades, des « conversions forcées » pendant la colonisation des Amériques. Sans parler des guerres des rois David, Salomon et de Mahomet. Ni de l’attitude des religions - sans aucune exception - à l’égard de la moitié de l’humanité, les femmes, ce qui est aussi grave que les guerres de religion. Toutes choses dont il vaut mieux, d’après le programme d’ÉCR, ne pas parler aux enfants.
Curieuse équivalence
Ce qui est le plus sublime dans toute cette affaire, c’est l’équivalence que le juge voit entre le cours ÉCR du MELS et le « cours » donné selon la manière catholique, tel que préconisé par Loyola High School. Selon le juge, la valeur et la fonction des deux cours restent les mêmes, c’est-à-dire qu’ils sont équivalents. L’un de ces cours dit que toutes les religions sont bonnes et l’autre que le catholicisme est préférable, mais cela est censé être équivalent : même valeur, même fonction !
De plus, le cours offert par Loyola High School demande « aux élèves d’évaluer d’une manière plus approfondie l’éthique catholique ». Cette fois, le juge Dugré estime que le programme ÉCR « enfreint [le] droit fondamental [de Loyola] ». La décision du juge Dugré rend évident le fait que juxtaposer l’éthique et la culture religieuse dans un même cours permet facilement de glisser de l’éthique à la religion et vice-versa.
Un cours à retirer
Dire que les concepteurs et les promoteurs du cours ÉCR s’évertuent à nous convaincre qu’il ne s’agit pas d’un cours de religion ! Le jugement Dugré renforce le point de vue selon lequel le MELS doit retirer ce cours, qui, comme le mentionne Christian Rioux, « est tout, sauf laïque » (Le Devoir, 26 juin). À l’instar de plusieurs groupes qui défendent une société laïque, nous croyons que la culture religieuse et l’éthique ne doivent pas être réunies dans un même programme. La culture religieuse doit être abordée au regard d’autres matières, comme dans les arts, l’histoire, la géographie, voire la littérature. Les cours de philosophie pour les enfants pourraient, par exemple, très bien prendre en charge l’éthique.
D’une manière ou d’une autre, la laïcité est la seule solution pacifique à tous les affrontements juridiques et législatifs qu’entraînent les conflits religieux. Toutes les religions peuvent exister et s’exprimer, mais aucune ne peut être présente dans les institutions d’État. La sphère civique, celles des institutions publiques, doit être laïque pendant que tout le reste de la société peut être le lieu de toutes les religions. La paix religieuse est à ce prix. Sinon les escarmouches juridiques n’auront pas de fin.
Ainsi, en ce qui a trait au système scolaire, plutôt que de « ménager la chèvre et le chou », comme l’écrivait Vincent Marissal (La Presse, 23 juin), ayons le courage de nos idées : laïcisons véritablement nos écoles. Elles ne doivent pas être le lieu d’enseignement religieux, ce qui est plutôt le rôle de la famille et des lieux de culte. De plus, nos impôts ne doivent plus servir à financer les écoles confessionnelles.
Lise Boivin, Pour la Coalition Laïcité Québec (CLQ)
Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 juillet 2010