Chers ami-e-s, cher-ères camarades de lutte,
Après la large diffusion de notre lettre-colère, vous avez été nombreuses et nombreux à nous écrire (près de 5000) pour nous encourager, nous proposer de réfléchir ensemble sur quelles solidarités, quelles passerelles et surtout quelles réponses à proposer quant à la légitimité de porter notre message. Paris, le 5 juin 2009.
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Il nous semble que le féminisme en tant que pensée politique, philosophique et sociale, fondée sur l’égalité des sexes et la justice sociale transcende les frontières, les « races » et les couleurs. À ce titre, ne renferme t-il pas en lui-même une pensée universelle ?
Que l’on soit en France, au Québec, en Angleterre, en Algérie ou en Iran, notre quête d’égalité, de liberté, de liberté de conscience, de justice sociale et, par là même, nos luttes contre les lois et les comportements sexistes, les inégalités sociales, économiques, culturelles, le racisme et l’antisémitisme ne se retrouvent que sur le terrain d’un féminisme laïque.
Ce sont tous nos principes et toutes nos valeurs communes qui nous ont convaincues et continueront à nous convaincre de l’universalité du féminisme.
Le relativisme culturel en matière de féminisme ne peut être qu’une autre forme de racisme où les femmes « originaires du sud » seront exclues de toutes les chartes des libertés et même de la déclaration universelle des droits de l’Homme, car elles sont susceptibles de porter « une » autre culture. Ce qui n’empêche, en aucune façon, la réflexion globale et les actions locales.
Il serait donc judicieux et honnête intellectuellement d’indiquer et d’expliquer les subtilités qui existent entre culture, religion et identité.
Politiquement et publiquement, ce sont les valeurs du féminisme et de la laïcité qui nous donnent une identité commune ; ce sont nos différents vécus, expériences et connaissances qui enrichissent nos cultures et leur permettent de trouver des points de convergence. Quant aux religions, nous estimons et faisons en sorte qu’elles ne dépassent pas l’intime et le personnel. Ces dernières ne peuvent, en aucun cas, s’imposer à nos valeurs ou à notre éthique.
C’est dans ce contexte, et non parce que nous sommes de naissance musulmane, que nous nous permettons de remettre en cause toutes les religions, sans pour autant nous sentir ni islamophobes, ni judéophobes, ni christianophobes.
En parlant d’islamophobe, savez-vous qu’au-delà de la date d’apparition de ce terme en 1921 (Etienne Dienet et Slimar Ben Ibrahim), l’Ayatollah Khomeiny et les Mollahs l’ont repris pour désigner les femmes laïques qui manifestaient au lendemain de la révolution iranienne de 1979. Ces femmes refusaient le Shah et le tchador, alors que leurs camarades ne voyaient pas encore les dangers de l’islamisme.
Aujourd’hui, en partant des histoires coloniales et postcoloniales, on veut nous amener à faire l’amalgame entre le racisme et la soi-disant islamophobie.
Nos cher-e-s ami-e-s, n’oubliez pas que ce sont des féministes iraniennes qui ont été traitées d’islamophobes parce qu’elles ont refusé en même temps le voile et le système féodal bourgeois. Ce sont les Algériennes refusant le diktat de l’alliance islamiste/pouvoir qui sont traitées d’impies à tuer, à renier ou à exiler. Ces Algériennes qui portent en elles les traces du colonialisme et ses conséquences postcoloniales ne confondent pas la lutte pour la laïcité, le féminisme et la démocratie avec la quête d’identité.
Ce qui se passe aujourd’hui, au Québec, est la preuve que le colonialisme et le postcolonialisme ne peuvent expliquer à eux seuls la montée du communautarisme et notamment celui lié aux religions (le Québec n’ayant pas eu de colonies est lui-même « settler occupation », faisant partie des pays du nouveau monde).
Dans un monde sans éthique politique, où l’ultralibéralisme et le capitalisme écrasent et broient des femmes et des hommes, où les dictatures font et défont les lois à leur guise en bafouant les libertés les plus fondamentales, et réservent aux religions un rôle social leur servant de caution et de complément, notre combat doit être mené pour protéger les acquis de tant de générations et arracher plus de lois pour la protection sociale des salarié-es et des plus démuni-es. Des lois qui garantissent l’égalité de toutes et tous et qui nous assurent, ainsi qu’aux générations futures, une vie décente et digne où la spiritualité n’est plus un refuge ou un moyen de manipulation, mais un choix personnel et intime que certaines et certains décideront d’adopter ou non.
Ces combats, nous devons les mener ensemble et faire en sorte que chaque féministe laïque, où qu’elle soit, de quelque culture qu’elle soit, et quelles que soient son origine, sa « couleur » ou son orientation sexuelle, les porte sans jamais se poser la question de sa légitimité de penser ou de parler.
Pour celles (et ceux) qui hésitent à dire haut et fort leurs valeurs féministes laïques par crainte d’accusation de « racisme ou d’islamophobie », nous avons confectionné une carte à notre nom qui leur donne toute la légitimité de s’exprimer et de pouvoir exprimer leurs points de vue :
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Nous, le groupe « Féministes laïques algériennes et iraniennes »
Donnons les pleins pouvoirs et LEGITIMITE à :
Nom :
Prénom(s) :
Pour pouvoir s’exprimer sur la question féministe laïque sans être traité-e- « de raciste ou d’islamophobe ».
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Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 juin 2009
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