Ces derniers jours, une photo* circule abondamment sur les réseaux sociaux : celle de deux athlètes féminines, une Allemande et une Égyptienne, s’affrontant au cours d’un match de volleyball de plage. L’une en bikini, l’autre en survêtement et hijab. Et d’aucuns n’ont pas manqué l’occasion de faire de cette photo le symbole de l‘unité par delà la diversité, du respect, de la tolérance, bref, pour un peu, de l’esprit olympique.
Les débats que la photo n’a pas manqués de susciter ont vu ressurgir des arguments familiers, mais hélas toujours aussi vivaces. Reprenons-les donc un à un…
Le bikini et le voile sont deux manières de contrôler le corps des femmes !
Il ne faut pas être grand sportif pour comprendre cependant qu’il est des tenues plus adaptées au sport que d’autres. Et que de manière générale, plus on est libre de ses mouvements, moins on risque de s’étrangler et plus on a un champ de vision large, plus on est à l’aise et donc dans de bonnes conditions pour être au maximum de ses performances. En outre, je ne crois pas – mais peut-être suis-je mal informée – qu’aucun pays ait jamais conditionné l’envoi d’une délégation féminine aux JO au fait qu’elles portent obligatoirement une tenue sexy-moulante, du genre de celle qu’elles doivent déjà obligatoirement porter du matin au soir dans leur pays dès qu’elles mettent le nez dehors.
Comme je crois l’avoir déjà écrit ailleurs, il serait peut-être temps d’arrêter d’essayer d’appréhender la question du voile comme s’il s’agissait d’un simple accessoire de mode, d’un truc que certaines femmes aiment bien porter parce que c’est joli, seyant - ou au contraire parce que ça ne l’est pas, peu importe : vous voyez l’idée.
Chaque sport a sa tenue. On ne joue pas au tennis en maillot de bain, on ne nage pas en tenue d’escrime ni ne fait de judo en tenue de foot. C’est comme ça, et si on préfère le maillot de bain en toutes circonstances, il faut choisir la natation, pas le rugby. C’est dur, mais c’est comme ça. Et la grande majorité des athlètes se plient à cette règle pourtant odieusement liberticide, qu’on retrouve d’ailleurs aussi dans le sport masculin. Alors qu’on arrête de nous bassiner avec la soi-disant liberté des femmes musulmanes de concourir voilées : leur liberté est, ou devrait être, exactement la même que celle de tous les athlètes, hommes et femmes. Et si quelqu’un les en prive, ce ne sont pas les règles des JO (d’ailleurs allègrement foulées au pied depuis quelques années pour cause de relativisme culturel) mais les théocrates qui font la loi dans leur pays.
Au moins, ces femmes opprimées dans leur pays peuvent participer aux JO, c’est déjà ça !
Pourtant, il y a des athlètes égyptiennes qui participent aux JO tête nue, avec une tenue vestimentaire tout-à-fait similaire à celle des autres athlètes féminines de la même discipline. Le voile n’est pas obligatoire en Égypte, et la joueuse de volleyball de plage de la photo a donc délibérément choisi de concourir dans cette tenue.
Par contre, d’autres pays font du port du voile par leurs athlètes féminines une condition de participation, ainsi que l’accord et la présence d’un tuteur et le respect des zones de non-mixité (label islamique pour les sportives saoudiennes).
Sous couvert de respect de la religion, il s’agit donc une fois de plus de conditionner la présence des femmes dans un lieu donné – ici, les Jeux olympiques – à des règles visant à leur contrôle permanent. Contrôle du corps, bien sûr, mais aussi des faits et gestes. La femme, avant d’être une athlète, est considérée comme une mineure perpétuelle, un être qui ne saurait jouir d’une liberté égale à celle des hommes. Plus encore : en envoyant aux Jeux olympiques des femmes, qui, de toute évidence, n’ont pas pu bénéficier dans leur pays d’une préparation physique comparable à celle des athlètes de nos pays démocratiques - vu le carcan qui pèse sur les femmes iraniennes, qataries ou saoudiennes -, ces régimes théocratiques liberticides visent moins une quelconque médaille olympique qu’une attaque frontale de nos principes démocratiques.
C’est un véritable bras d’honneur qu’ils font au Comité international olympique, et plus largement à tous ceux et celles qui défendent ici et là-bas l’égalité entre les hommes et les femmes. Les athlètes voilées sont en réalité des pions dans leur jeu, qui n’ont aucune chance de gagner ni une médaille, ni même un soupçon de liberté supplémentaire. Par contre, elles contribuent – consciemment ou non, là n’est pas la question - à l’enfumage des esprits naïfs, qui aimeraient tant croire qu’on peut être une femme accomplie, sportive, émancipée et tout et tout, tout en venant d’une théocratie qui enferme ses filles et ses femmes sous d’immondes bâches, leur inculquant dès leur plus jeune âge la honte d’être femme.
Ce qui compte, c’est que ce soit des sportives performantes, pas leurs convictions religieuses.
Fort bien. Pourquoi alors l’article 50-2 du COI prévoit-il que
« Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique » ?
Qu’au moins les ardents défenseurs des athlètes voilées aillent au bout de leur logique, comme d’ailleurs tous ceux et celles qui, au sein des fédérations sportives, jouent les innocents en décidant de faire comme si le voile était un signe culturel, comme l’a fait en 2012 l’International Football Association Board (IFAB)…
Qu’ils autorisent pêle-mêle turban sikh, kippa, maillot arborant les opinions politiques, religieuses ou raciales les plus diverses. Les possibilités sont infinies, et nous pourrons alors réellement profiter du spectacle aussi bigarré qu’émouvant de la diversité en acte. Et ce qui serait vraiment sympa, histoire de promouvoir le bel esprit de tolérance et de respect mutuel, ce serait que les athlètes échangent leurs tenues. Que la joueuse égyptienne porte le bikini de l’Allemande (et vice-versa bien sûr), que le footballeur juif portant kippa l’échange contre le drapeau iranien de son adversaire… On pourrait même imaginer un sympathique tirage au sort, une courte-paille qui condamnerait le perdant à porter une croix gammée, et le gagnant un drapeau arc-en-ciel.