Christine Delphy, sociologue française, a fait paraître dans The Guardian, le 20 juillet dernier un article intitulé : « French Feminists are failing Muslim women by supporting racist French Laws ». Utiliser un support anglophone pour balancer des faussetés sur le mouvement féministe français n’est vraiment pas fair-play ! La thèse développée par Mme Delphy, en France, nous la connaissons bien. Elle peut se résumer en une phrase : le féminisme français, au prétexte d’être universel et laïque, stigmatiserait les femmes musulmanes, pourtant contraintes de se voiler afin de résister à un État français islamophobe.
Aussi, selon elle, le féminisme français devrait-il s’adapter aux spécificités culturelles et religieuses musulmanes pour échapper à l’accusation d’islamophobie.
Allons bon, ceci signifie-t-il que l’interdit de la contraception et de l’avortement, la virginité, le mariage religieux, la mise sous tutelle, le camouflage des corps impurs, la polygamie, le mariage précoce, le mariage forcé, la répudiation, l’excision, les crimes d’honneur, l’interdiction de l’homosexualité, et j’en passe, toutes ces charmantes coutumes culturelles et /ou religieuses, genrées et misogynes, devraient être évaluées, considérées et tolérées par le féminisme français ?
Non, ne dramatisons pas, cela ne concerne pas les traditions culturelles chrétiennes, bouddhistes, hindouistes, judaïques, etc. Il faut trier et considérer les seules traditions culturelles islamiques.
Pourquoi ? Parce que les seuls opprimé-e-s en France sont de culture/religion islamique. Il n’est donc pas choquant, sauf d’un point de vue occidental, qu’on assigne les femmes de ce groupe au respect des règles culturelles et religieuses de leur identité de naissance !
Pourquoi faire de telles concessions au culturel alors que, selon moi, le féminisme consiste notamment à abolir toute discrimination et toute violence envers les femmes, revendiquer dans tous les domaines l’égalité femmes-hommes, et promouvoir un modèle de société sans rapport de domination ?
Ôtez-moi un doute : dans les années 70, de quoi donc se libéraient Mme Delphy et, avec elle, tout le MLF, si ce n’est justement de notre culture patriarcale ? Que criait-on dans les manifestations à l’époque ? Libération des femmes de toutes les traditions, coutumes et habitudes qui nous enfermaient dans les contraintes et violences de la domination masculine judéo-chrétienne !
Ainsi, Mme Delphy, qui parle au nom d’une communauté à laquelle elle n’appartient pas, décide que ce qui fut vital pour elle, pour nous, serait mauvais pour les femmes musulmanes. Car celles-ci, pour s’émanciper, auraient besoin de leurs bonnes vieilles spécificités culturelles et religieuses. C’est confortable, remarquez, elle peut continuer d’être libre tout en contribuant à renforcer la domination masculine sur d’autres femmes ! À peine condescendant !
Le système patriarcal en rêvait, Mme Delphy le lui offre ! Mme Delphy et ses ami-e-s du PIR (Parti des Indigènes de la République), des Indivisibles, Tariq Ramadan et les autres (d’une certaine gauche radicale, etc.) demandent aux femmes de rester à la place assignée par leur culture d’origine.
Le relativisme culturel permet de justifier l’oppression des femmes au nom de la culture. Alors si, en plus, c’est celle de l’opprimé-e, il n’y a plus rien à dire, car contester les discriminations et violences misogynes d’une culture, d’une religion, c’est risquer d’être accusé-e de racisme. Ça fait peur, très peur, ça calme.
Le féminisme universaliste, à l’inverse, représente un terrible danger pour le système patriarcal à l’œuvre dans toutes les cultures. Vous imaginez la moitié de l’humanité consciente de la domination masculine universelle, toutes solidaires dans nos luttes, rejetant les discriminations et violences de genre et valorisant d’autres rapports sociaux et politiques, et dans tous les domaines ?
Bien trop risqué ! Il faut à tout prix nous diviser et récupérer nos luttes et nos énergies. Le pire, c’est que ça fonctionne, alors qu’il ne viendrait à aucun autre mouvement social l’idée de défendre des théories qui, pour finir, se retourneraient contre ses membres ! Il ne faut pas se demander pourquoi l’oppression des femmes n’en finit pas !
C’est indéniable, Mme Delphy fut jadis féministe, mais dans un contexte mondialisé de retour en force des religions, elle a fait le choix du relativisme culturel, allant jusqu’à s’allier à des groupes de pression aux relents pro-islamistes.
Pourtant, c’était simple de travailler sur les discriminations racistes subies par les femmes au nom des systèmes de domination, en plus des discriminations de sexe et de classe.
Bon, il faut bien le dire, le mouvement des femmes sait que le féminisme est antinomique avec toute forme de domination de sexe, de classe et de « race ». Celui-ci n’a jamais attendu une intellectuelle égarée, pour s’intéresser à la question, nouer des liens de solidarité avec les femmes du monde entier qui, elles, s’organisent pour résister au machisme (La Marche mondiale des Femmes, par exemple).
C’est une chose de reconnaître qu’il peut y avoir des femmes racistes, ne serait-ce que par ignorance, qu’il n’y a pas suffisamment de femmes « racisées » dans le mouvement des femmes ; c’est une tout autre chose de prétendre le mouvement féministe, raciste !
Le plus grave dans tout ceci, c’est le mépris affiché par Mme Delphy et les relativistes envers les femmes en lutte pour leurs droits et libertés, et souvent au péril de leur vie, dans les pays de culture musulmane.
Au départ des intégristes islamistes, elles se libèrent de leur voile comme d’une sortie de prison, ce voile stigmate sexiste d’impureté et de tentation. Mais chez nous, Mme Delphy les trahit au nom d’accommodements culturels !
Toutes ces femmes de culture musulmane qui refusent les diktats culturels et religieux sexistes, ici comme « Les femmes sans voile d’Aubervilliers », et là-bas, les féministes françaises en sont solidaires. Mme Delphy les livre. « Celles qui portent un voile en vivant dans le monde occidental contribuent à asservir les femmes pour lesquelles le voile est une contrainte ailleurs dans le monde », répond Mona Eltahawy.
En France, il semble désormais que la défense des privilèges sexistes de la religion musulmane, masquée sous une prétendue lutte contre l’islamophobie, s’est substituée à la lutte contre le racisme, contre toutes les formes de racisme.
Il est nécessaire de critiquer une religion au même titre que toutes les autres, et de combattre les contraintes et les violences genrées imposées aux femmes. Si c’est être islamophobe, on devrait bannir ce mot du vocabulaire militant progressiste, d’autant plus qu’il compromet toute lutte crédible contre le racisme.
Quand une féministe joue à ce petit jeu de condamner les femmes d’un groupe à toutes endosser la même identité communautaire, non seulement elle tourne irrémédiablement le dos au mouvement de libération des femmes, mais elle le trahit.
Car c’est très bien vu de la part des islamistes de prétendre le féminisme occidental raciste. Ainsi, ils gagnent du temps en nous séparant de « leurs » femmes. Et, en revanche, les femmes qui s’en font les complices perdent toute légitimité à s’exprimer au nom du mouvement de libération des femmes.
Le féminisme est universel, car l’oppression des femmes et notre solidarité n’ont pas de frontières ; le reste n’est qu’imposture.
Cet article est d’abord paru sur le site de l’auteure Irréductiblement féministe ! Nous la remercions de le partager ici.