Note de Sisyphe - L’auteure répond à une critique sur l’absence de plusieurs groupes féministes et antiracistes à la Marche pour la dignité, qui a eu lieu en France en octobre dernier. Elle souligne notamment que cette marche ne faisait pas de place aux luttes anti-patriarcales qui, selon Océane Rose Marie, relèveraient "de l’infantilisation des femmes qui feraient le choix libre". Les lectrices féministes du Québec, qui connaissent pafois des "procès en racisme", noteront que ce type de manifestation s’inscrit dans une approche dite "intersectionnelle" dont la caractéristique principale est de discréditer les luttes féministes et les luttes pour la laïcité, en dressant "les causes" les unes contre les autres.
Femme, féministe et « racisée », selon ce tout nouveau champ lexical que je récuse par ailleurs, j’ai été sidérée par la tribune d’Océane Rose Marie qui déclare tranquillement, dans sa chute, qu’elle pourrait participer sans états d’âme à une manifestation aux côtés de personnes qui ne soutiennent pas le mariage pour tous, tant que le mot d’ordre serait « JUSTICE POUR TOUS ». J’imagine qu’elle faisait référence à l’une des premières signataires de la Marche pour la dignité, Ismahane Chouder, membre de « Participation et Spiritualité Musulmanes », qui a appelé à la « Manif pour tous ».
Le caractère schizophrénique de cette même et unique phrase parle pour lui-même. Car lorsqu’on est contre le mariage pour tous, on est par définition CONTRE LA JUSTICE POUR TOUS. On porte une haine rétrograde de ce qui est différent, au sein d’une manifestation qui prétend dénoncer l’intolérance et le refus de la différence.
Un procès en racisme
Plus gravement, cette tribune fait un procès en racisme à l’encontre de toutes celles et ceux qui ont refusé de participer à la Marche pour la Dignité, que je ne peux admettre en tant que militante pour l’égalité. Le racisme et le sexisme, j’en suis persuadée, ont une même racine et des mécanismes de domination très analogues, c’est bien pour cela que je les combats de la même manière.
J’ai refusé pour ma part de me retrouver dans une manifestation qui oppose les victimes de différentes formes de racisme et de discrimination. Je ne trouve pas anodin que l’appel fustige « l’islamophobie, la négrophobie, la romophobie galopantes », et non l’antisémitisme, le sexisme et l’homophobie. Pour ne rien vous cacher, je n’en suis pas étonnée lorsque je vois parmi les signataires Tariq Ramadan, qui se plaint des piscines mixtes, Médine et sa quenelle Dieudonniste, ou Houria Bouteldja du Parti des indigènes de la République et sa drôle de vision de la laïcité selon laquelle « nous ne connaissions pas ce type de distinction entre le profane et le sacré, la sphère publique et la sphère privée, la foi et la raison. »
Souffrez-le !
Et les luttes contre le patriarcat ?
Surtout, je ne veux pas ignorer l’insistance que met Océane à affirmer que notre lutte anti-patriarcale relève de l’infantilisation des femmes qui feraient le choix libre, et non faussé, d’assumer les codes des dogmes religieux. « Osez me dire en face que ce ne sont pas des femmes autonomes, qu’elles ne pensent pas par elles-mêmes ou qu’elles sont manipulées par je ne sais quel courant extrémiste qui n’existe que dans des fantasmes propres aux délires racistes », s’écrie l’auteure.
Mais alors, à quoi servent les organisations militantes ? Ne sommes-nous pas depuis toujours mobilisées pour dénoncer les divers mécanismes d’aliénation de nos sociétés et de ses individus, en premier lieu des femmes ? Je le déplore, mais oui, beaucoup de femmes ont intériorisé le rapport de domination patriarcal. Au Maroc, mon pays d’origine, elles sont majoritaires à admettre que la loi les spolie de la moitié de leur héritage du fait des textes religieux. Dans tant de pays, au nom d’injonctions religieuses ou traditionnelles, le droit à disposer de leur corps est restreint, voire nié.
En France, il y a moins d’un siècle, elles ne votaient pas, ne travaillaient pas sans l’autorisation d’un mari, n’accédaient pas à l’avortement. Combien s’en émouvaient ? Il a fallu des mouvements, des actions, des réunions non mixtes, d’interminables débats pour mettre des mots sur notre condition, analyser de fond en comble et lutter efficacement contre les diverses stratégies du système patriarcal, des plus brutales aux plus pernicieuses.
Moi-même, j’ai été élevée dans l’idée implicite de mon infériorité, dans la culpabilité d’un corps qu’il faut cacher, dont il faut contrôler les modes d’apparition publique. Il a fallu du temps à ma prise de conscience. Je n’étais pas stupide, mais comme tout être social, j’étais sous l’emprise d’une matrice, instrumentalisée par l’un des systèmes les plus structurés et les plus hégémoniques qui soient. Je n’admets pas que l’on me taxe de raciste car je refuse une nouvelle instrumentalisation de l’aspiration féministe au nom d’un libre arbitre prétendument absolu, si baroque que seules les femmes s’imposeraient l’idée de cacher leur corps.
Le voile, une histoire d’hommes
Pour protester contre les sévères restrictions qui règnent en république islamique d’Iran, des femmes ont décidé de s’afficher sur les réseaux sociaux sans leur voile pourtant obligatoire dans l’espace public.
Replaçons les choses dans leur contexte : le voile n’a originellement rien de religieux ! C’est un usage patriarcal datant de la Mésopotamie, dont le rôle social est de signifier l’illégitimité des femmes à traverser l’espace public qui est l’espace de la politique, de la Cité, des hommes. En France ou en Italie, la plupart de celles qui portaient la voilette dans les années 50 ne la portent plus aujourd’hui, ou du moins, pas leurs filles ni leurs petites-filles. Ne sommes-nous pas heureuses de sortir de tous ces carcans puritains ? L’émancipation des femmes n’est-elle pas une aspiration universelle ?
À ce compte, moi qui suis également militante anticapitaliste, je devrais m’abstenir de contredire les travailleurs qui affirment leur choix de travailler le dimanche, de nuit et de partir à la retraite à 70 ans, de peur de les infantiliser ou d’insulter leur capacité à faire des choix autonomes ? Eh non, en tant que militante, je défends un modèle de société, j’ai un minimum de conscience systémique, et j’assume vouloir les convaincre qu’ils sont exploités au nom d’idéologies réactionnaires. Il en est de même pour ma condamnation intellectuelle du port du voile et de bien d’autres obsessions masculines.
À celles et ceux qui pensent que les femmes sont assez étranges pour s’inventer dans leurs coins ces drôles d’usages dont le corps est, comme par hasard, toujours l’otage (voile, burqa, mutilations, pieds de lotus), je réponds que toutes ces inventions ont émergé d’assemblées non mixtes masculines, au hasard de réunions de dignitaires dont nous étions exclues. Le voile n’est pas une histoire de femmes, c’est une histoire d’hommes ! C’est le reflet du problème fondamental qu’ont historiquement les hommes avec la sexualité féminine, si bien qu’ils ont fait de nos cheveux « le reflet du pubis ». C’est à eux à consulter un psychologue pour soigner leurs névroses, non à nous de nous y adapter !
Manifester à Marche forcée ?
Enfin, l’autrice se plaint qu’aucune association féministe « mainstream » ait défilé avec elle. Mais dans quel piège veut-elle nous attirer à notre corps défendant, nous autres féministes qui déconstruisons une à une nos entraves, pour nous faire manifester à Marche forcée ? Notons d’abord que des collectifs issus des milieux populaires comme « Le collectif des femmes sans voiles d’Aubervilliers » ou « Africa la Courneuve » n’y ont pas été non plus. Sont-elles pour autant opposées au principe de la Dignité ? Bien au contraire. Ni SOS racisme, ni la LDH, ni la Maison des Potes, ni la LICRA n’y ont appelé.
Le Parti de Gauche a précisé qu’il y allait avec son propre appel, du fait de dissension que notre amie Océane aurait tort de mépriser. Car oui, la façon dont on traite la lutte antiraciste fait débat avec le risque évident d’une logique communautariste, identitaire, non-universaliste, et qui finira même par réinstaurer un délit de blasphème avec des termes comme « islamophobie » que je réfute, puisqu’il s’agit étymologiquement non pas d’une peur irrationnelle des musulmans, mais d’une peur irrationnelle de l’islam. Or ma critique de l’islam repose bien sur une approche rationnelle. Pourquoi rejeter ce débat en faisant les gros yeux à tout le monde et en les traitant de racistes ?
Ressaisissons-nous ! La lutte pour l’émancipation des femmes, la révolution sexuelle, la reconnaissance de toutes les formes de sexualités, ce n’est pas de l’histoire ancienne. L’offensive politique des religions est plus que jamais mobilisée contre nos corps et pour reprendre leur contrôle. Les cafés masculins, les intimidations dans l’espace public, les prières publiques de toutes obédiences sont encore une réalité, et elle s’aggrave. Nous avons brûlé les soutiens, nous brûlerons un jour nos voiles, car autour de nous, le torchon brûle encore !
– Le site de l’auteure ici que nous remercions de publier son article sur Sisyphe. Sous-titre de la rédaction de Sisyphe.