Comment expliquer que la nouvelle loi électorale canadienne soit restée muette sur la question du vote à visage couvert ? Comment se fait-il que le Bloc québécois, qui se propose à présent de remédier à cette lacune en déposant un nouveau projet de loi dès la rentrée, n’ait pas réagi avant l’adoption de la loi électorale, adoptée en juin 2007 ? Pouvait-il ignorer la vive controverse soulevée récemment lors des élections provinciales sur cette question ? Trouvez l’erreur.
Les membres des communautés musulmanes vivant au Québec et au Canada sont encore une fois stigmatisés par le battage médiatique entourant cette controverse. Pourtant, la très grande majorité d’entre eux, et surtout d’entre elles, s’opposent au port du nikab (qui cache le visage sauf les yeux). D’ailleurs, il ne s’agit pas d’une exigence religieuse de l’Islam ; le nikab n’est nulle part mentionné dans le Coran. Ce sont les interprétations extrémistes qui le prônent aujourd’hui au nom de la religion.
Le fait d’autoriser le vote par correspondance, dans certaines circonstances, n’enlève rien à la légitimité d’une exigence du vote à visage découvert. L’accommodement, proposé par le NPD, d’autoriser une électrice portant le nikab de se dévoiler seulement devant une femme scrutatrice, est inacceptable. C’est le principe même du vote à visage découvert qu’il faut défendre sans fléchir. Le fait que la question ne concerne aujourd’hui qu’un petit nombre de femmes musulmanes portant le nikab (entre 40 et 100, à Montréal, selon les estimés) ne change rien à l’importance de ce principe.
Il faut d’ailleurs défendre le même principe à l’année longue et pas seulement pour le vote. Le principe du vivre à visage découvert est primordial, notamment dans les institutions publiques, à l’école comme à l’université, et aussi dans l’emploi. Il est en effet inacceptable de devoir se plier à une pratique qui nie de façon si évidente toute identité aux femmes, qui doivent se cacher pour avoir accès à la sphère publique. S’il est aujourd’hui présenté comme un choix et une liberté individuelle par celles qui le portent fièrement, il n’en demeure pas moins partie intégrante d’une idéologie et d’un système d’oppression qui nient les droits et libertés fondamentales aux femmes et ensuite aux hommes. Il faut cesser de croire que les choix individuels doivent dicter nos choix collectifs, sans égard aux impacts sociaux à long terme.
Aménager des horaires de piscine séparés ou des activités non mixtes au nom du respect de la diversité religieuse constitue un recul pour l’égalité des sexes. Ces revendications, même si elles n’imposent pas de « contraintes excessives » aux institutions, émanent d’une vision patriarcale qui refuse de reconnaître les mêmes droits aux femmes et qui cherche à les confiner dans des espaces réservés à elles seules. Cette vision repose sur une véritable obsession de la pureté sans limite. Elle conduit à un contrôle accru des hommes sur les femmes dans toutes les sphères de la vie, ce qui est incompatible avec les valeurs d’égalité des sexes que nous défendons sur toutes les tribunes. Ce type d’accommodement, naïvement consenti au nom du relativisme culturel, ne fait qu’alimenter la xénophobie et le racisme à l’endroit des minorités en plus d’encourager leur ghettoïsation. Ne soyons ni dupes ni complices.
* Yolande Geadah est l’auteure de Accommodements raisonnables, droit à la différence et non différence des droits, VLB éditeur 2007. Lire « Accommoder ou résister », par Louis Cornellier, dans Le Devoir, 19 mai 2007.
Cet article a été publié aussi dans le Journal de Montréal, le 17 septembre 2007, p. 28.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 septembre 2007
Lire aussi : « À moi de m’adapter », Journal de Montréal, le 10 septembre 2007.