Des masculinistes utilisent des statistiques partielles pour illustrer l’incidence du suicide et la détresse chez les hommes.
Si l’on veut exploiter les statistiques de suicide à des fins de politique partisane - un choix éthique des plus discutables -, je crois que s’impose une présentation moins sélective des données disponibles. En effet, il est clair que le véritable indice de la condition et de la détresse des gens de chaque sexe qui attentent à leurs jours n’est pas le taux de suicides complétés mais bien celui des "tentatives" de suicide.
Or, selon des sources statistiques au-dessus de tout soupçon, au Canada " le taux d’hospitalisations pour tentative de suicide est une fois et demie plus élevé pour les femmes que pour les hommes ". (1) Même proportion au Québec où l’Enquête Santé Québec (1998) établit que 2,9 % des hommes et 4,2 % des femmes rapportent avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie.(2)
Cette donnée - 50% plus de femmes suicidaires - correspond d’ailleurs de près aux niveaux plus élevés de dépression et de pauvreté constatés chez les femmes, en regard des mêmes facteurs chez les hommes. Mais il faut croire que " c’est plus grave quand ça arrive à un gars ".
Si les hommes, moins nombreux que les femmes à attenter à leurs jours, sont plus nombreux à compléter un suicide, c’est apparemment en raison de leur préférence pour des méthodes plus physiques, " efficaces " (armes à feu, pendaison, chute, collision en voiture, etc.). Le retrait des armes à feu du domicile des hommes violents et contrôlants éviterait sans doute bien plus de décès que la manipulation de statistiques et l’exploitation du désespoir à des fins politiques, par ceux qui cherchent à nier la position privilégiée des hommes.
Pour qui veut éviter de nouveaux drames, il faut même se demander dans quelle mesure la politique masculiniste de présentation des hommes comme victimisés en tant qu’hommes n’est pas un facteur qui "concourt" au désarroi et au suicide de certains hommes. En plus de noircir systématiquement le tableau de la " condition masculine ", cette politique donne lieu à des cas repérés de suicides (et aussi de meurtres de femmes et d’enfants, hélas) commis par des hommes divorcés que des masculinistes avaient incités à une guerre à finir contre leur ex-conjointe.(3)
Homophobie meurtrière
Une des principales influences repérées sur le suicide des hommes est l’"homophobie", dont une des figures est le harcèlement infligé aux hommes soupçonnés ou accusés d’être insuffisamment " masculins ". Il me semble significatif que des insultes et des allusions homophobes prolifèrent dans les forums de discussion envahis par les masculinistes, comme celui du Centre des médias alternatifs du Québec depuis mai 2003.
Pierre Tremblay et Richard Ramsay citent, dans un numéro spécial de l’Association québécoise de suicidologie (4), une étude néo-zélandaise selon laquelle " la probabilité de faire une tentative de suicide en cours de vie (est) six fois plus élevée chez ceux qui (s’identifient) comme homosexuels ". Ils mentionnent également deux autres recherches, réalisées depuis 25 ans à Calgary et au Kinsey Institute, indiquant que les hommes gais et bisexuels " ont 14 fois plus de probabilités de rapporter une tentative de suicide durant leur jeunesse et qu’ils représentent 62.5 % des jeunes personnes de sexe masculin faisant des tentatives de suicide à Calgary ".
Tremblay et Ramsay insistent sur le fait que le principal facteur de risque semble être non l’homosexualité elle-même mais la pression homophobe, imposée aussi bien à des adolescents hétérosexuels qu’à ceux qui sont réellement gais, lesbiens ou bisexuels. Les statistiques de tentatives de suicide en font preuve : " Réalisée en 1995, à Seattle, une étude rapporte une incidence de tentatives de suicide " au cours des 12 derniers mois " de 5,7 % chez les adolescents hétérosexuels non visés par des attaques relatives à l’homosexualité, comparativement à 20 % chez les adolescents hétérosexuels qui l’avaient été. Les adolescents gais, lesbiens ou bisexuels (GLB), visés ou non pour des abus reliés à l’homosexualité, avaient la même incidence élevée. " (5)
Comme le décrochage des garçons (6), la propension au suicide de bon nombre des jeunes hommes découlerait directement d’une culture viriliste. Quelle ironie de voir les masculinistes s’autoriser de telles tragédies pour relancer leurs troupes ! Il faudrait plutôt déplorer les coûts sociaux de la pression à " se comporter en vrai homme " et de la guerre que d’aucuns tentent de perpétuer contre les droits des femmes et des enfants.
Sources
1. Statistiques Canada.
2.
Prévention du suicide
3. Dufresne, M. Masculinisme et criminalité sexiste, Recherches féministes/NQF, 11(2) (1998), pp. 125-37, et sur Sisyphe
4. Vis-à-Vie, 10(2), 2000. www.cam.org/
5. Reis B (1996). The Seattle Public Schools’ Teen Health Risk Survey.
http://www.safeschoolswa.org/ssp_part2.html.
6. Bouchard, P, et J.C. St-Amant. Garçons et filles, stéréotypes et réussite scolaire, Montréal, Éditions du Remue-ménage, 1996.
Mis en ligne sur Sisyphe le 10 juillet 2003