Ou pourquoi, à peine connues, les théories « féministes » post-modernes sont vouées aux poubelles de l’Histoire.
« Islam et prostitution : les féministes, le voile et le string » (1) de ValérieCG ou Crêpe Georgette. Vous ne rêvez pas, dans un même titre s’enchaînent les mots islam, prostitution, féministes et voile. String, c’est juste pour faire style.
Surprenant ? Pas vraiment. Depuis quelque temps déjà, une mouvance constituée de blogueuses influentes - notamment « Les Déchaînées » (2), aussi la nébuleuse « 8marspourtoutes » (3) de Morgane Merteuil, et d’autres du STRASS (4), ainsi que d’Act-Up Paris, quelques militants du NPA, aussi des Verts et quelques universitaires amplement médiatisés -, a pour ambition de parvenir à décrédibiliser, puis diviser, le mouvement féministe, en récupérant certaines luttes de femmes.
Les théoriciens et théoriciennes du « féminisme » post-moderne, dit improprement « pro-sexe », nullement effrayéES par les amalgames improbables, récupèrent des luttes de femmes que la société rejette et/ou que leurs « choix » isolent. Ces femmes, a priori, tout les oppose : les unes revendiquent de se voiler « librement », les autres de se prostituer « librement ». On ne peut imaginer plus grand écart entre les motivations et revendications d’un tel rassemblement, mais le mot « librement » a indéniablement un fort pouvoir d’attraction sur les libertariensNES !
D’un côté, nous avons des femmes voilées qui semblent ignorer que des générations de femmes se sont battues pour s’en affranchir, que des femmes sont, en France (et ailleurs en Occident), sont sommées de le porter par les hommes de leur entourage, que d’autres femmes dans le monde sont harcelées, lapidées et assassinées quand elles ne le portent pas. En tous cas, elles s’acharnent à défendre en France, ce morceau de tissu qu’aucun texte religieux n’impose, mais qui est infligé aux seules femmes par des hommes qui, encore et toujours, exigent de les contrôler et entravent leur liberté.
Paradoxalement, ces femmes s’entêtent à leur donner raison et se déclarent « libres ». Certaines le sont sûrement, mais combien sont instrumentalisées par le « féminisme islamique », des islamo-gauchistes et intellectuelLES si bienveillantEs à leur encontre ?
De l’autre côté, des prostituéEs qui semblent ignorer qu’en guise de liberté, elles participent à l’organisation patriarcale d’une distribution des rôles agencée pour garantir aux hommes une mise à disposition des corps des femmes. Réduites à une convenance sexuelle, elles n’expriment aucune solidarité envers les femmes forcées dans la prostitution, comme si elles ignoraient que les clients ne s’inquiètent jamais de la situation des femmes et des filles qu’ils payent, que leur demande nourrit une traite criminelle et un sordide trafic d’êtres humains. Une liberté d’entreprise incompatible avec la défense des droits humains et a fortiori des droits des femmes.
Rien de bien moderne, ni subversif ni féministe dans ces revendications, si ce n’est que le mot « librement » justifie tout, y compris de renforcer le contrôle et les violences contre les femmes puisqu’elles semblent y consentir. En réalité, dans un cas comme dans l’autre, des femmes souffrent du regard de la société, de violences et de discriminations, mais plutôt que de lutter contre les raisons de leurs problèmes, à savoir l’arbitraire de l’interprétation masculine des religions et les violences sexuelles de la domination masculine, elles tentent d’aménager leur oppression plutôt que de l’abolir. Erreur fatale, l’oppression ne s’aménage pas, elle s’abolit.
Le mouvement féministe est loin d’être parfait et ne se préoccupe probablement pas assez des multiples discriminations de sexe, classe, race-racisation -, il est compréhensible que des femmes se pensent laissées pour compte. En revanche, ce qui est scandaleux, c’est l’instrumentalisation éhontée de frustrations légitimes par des intellectuelLES et des activistes que l’honnêteté intellectuelle n’étouffe pas. Le relativisme culturel est pourtant de plus en plus contesté, à commencer par les femmes concernées dans les pays arabes. Les femmes du monde entier sont solidaires face à des violences et des discriminations qui les concernent toutes - c’est ça le féminisme - et le relativisme culturel les divise.
Il est de plus en plus difficile de cacher le soutien direct ou indirect aux industries du sexe, de plus en plus flagrant, et que dénoncent en grand nombre les femmes dès qu’elles sortent de la prostitution. Nous vivons dans un monde formidable : les systèmes d’oppression, les industries n’ont même plus besoin d’assurer leur maintien et leur défense eux-mêmes, des personnes et groupes se présentant comme subversifs le font bien mieux à leur place !
Ce sont les mêmes qui nous rabattent les oreilles de l’intersectionnalité des luttes, concept utile pour exiger des femmes qu’elles attendent le grand soir pour revendiquer des droits spécifiques. Dommage, l’Histoire et même la plus récente nous prouve qu’elles sont alors très vite muselées et renvoyées à leur oppression.
Aucun des arguments avancés dans le texte « Islam et prostitution… », au paroxysme de cette posture aberrante ultra-libérale et islamo-gauchiste et qui revient à promouvoir un racisme de l’Occident pas plus intelligent que ne l’est aucun racisme, ne résiste bien longtemps à une lecture un tant soit peu critique et surtout féministe.
– « La lutte contre le voile, outil fédérateur d’un féminisme en mal de visibilité » !
Il faut le lire pour le croire ! La lutte contre les discriminations, l’éducation à l’égalité, la lutte contre les violences (le viol, les violences conjugales, etc.) sont des sujets fédérateurs parmi bien d’autres, et depuis toujours, pour les militantes féministes. En outre, la question du voile est un vrai sujet de société sur lequel les féministes aussi ont leur mot à dire, car religions, interprétation masculine des religions et oppression des femmes ont toujours été fortement liées !
– « Civiliser les femmes musulmanes : "mission oppression", au nom du féminisme » !
Entre culture du complot et fantasme de persécution de type « Indigènes de la République » ! Comment croire une seule seconde que le mouvement féministe penserait à « civiliser les musulmanes » ? Les femmes du monde entier ont toujours cherché à s’affranchir du poids des religions, de toutes les religions, et de ce qu’elles imposent aux femmes. Quelle pathétique névrose que de masquer les voix des féministes du monde musulman qui résistent, pour mettre plutôt en avant les « féministes islamistes », instruments des pouvoirs intégristes !
– « 2013, le féminisme anti-putes s’offre les feux de la rampe » !
Référence à la loi d’abolition de la prostitution qui comporte la pénalisation du client prostitueur. Comme si depuis toujours le mouvement féministe n’était pas abolitionniste de la prostitution, plutôt que complaisant à l’égard des hommes qui abusent du pouvoir de l’argent pour contraindre des femmes à une sexualité non désirée ! Mais c’est quoi au juste le féminisme sinon l’émancipation des femmes pour l’égalité femmes-hommes, une société qui se libère des dominations, exploitations et violences et abolit les privilèges patriarcaux à commencer par les plus anciens et à l’origine même du patriarcat : l’appropriation du corps des femmes pour la sexualité et la reproduction dans le mariage comme dans la prostitution ?!
Tout est à l’avenant, les fondamentaux d’un féminisme universel et laïc sont bafoués dans un jargon complotiste, des arguments absurdes, une grossière manipulation idéologique. Qui donc peut être dupe ? Cette mouvance, démasquée depuis un certain temps déjà, ne poursuit en réalité pas d’autres buts que la perpétuation du patriarcat, alors je me demande bien pourquoi ces « féministes » de pacotille continuent de faire semblant ? Croient-elles vraiment pouvoir ainsi souiller les luttes féministes et tromper encore longtemps celles et ceux qui les suivent ? Pourquoi ne disent-elles pas clairement qu’elles sont du côté de l’oppresseur, des dictats religieux, du contrôle des femmes ? Pourquoi ne rejoignent-elles pas les masculinistes, les islamistes, enfin qui elles veulent, mais qu’elles cessent d’usurper le nom de féminisme ?
Quelle terrible imposture ! Les seul-es véritables « putophobes » et « islamophobes » ce sont elles (et eux), tout juste (bons) bonnes à attiser la haine et à diviser.
Notes
1. L’article objet de cet articles.
2. Les Déchaînées : Valérie CG et Crêpe Georgette
+ Daria Marx + Gaëlle-Marie Zimmerman et A Contrario.
3. « Un étrange 8 mars ».
Et
Encore un 8 mars et des questions qui fâchent.
4. STRASS : Syndicat des "travailleurs du sexe".
– Article publié le 2 avril 2014 sur http://christineld75.wordpress.com/2014/04/02/des-dechainees-aux-genoux-du-patriarcat-2/>Irréductiblement féministe ! Merci à l’auteure de partager cet article sur Sisyphe.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 avril 2014