| Arts & Lettres | Poésie | Démocratie, laïcité, droits | Politique | Féminisme, rapports hommes-femmes | Femmes du monde | Polytechnique 6 décembre 1989 | Prostitution & pornographie | Syndrome d'aliénation parentale (SAP) | Voile islamique | Violences | Sociétés | Santé & Sciences | Textes anglais  

                   Sisyphe.org    Accueil                                   Plan du site                       






vendredi 14 mars 2008

Pour éviter de se noyer dans la (troisième) vague : réflexions sur l’histoire et l’actualité du féminisme radical

par Mélissa Blais, Laurence Fortin-Pellerin, Ève-Marie Lampron et Geneviève Page






Écrits d'Élaine Audet



Chercher dans ce site


AUTRES ARTICLES
DANS LA MEME RUBRIQUE


Manifeste du Front Féministe
Confondre le sexe biologique et le genre nuit aux droits des femmes
L’intersectionnalité : Les invectives grotesques et les procès d’intention !
Les mille et une façons de tuer une femme
Pour un féminisme universaliste
Fées cherchent Île Oasis
L’universalisme est inhérent au féminisme
Contre le racisme des bons sentiments qui livrent les femmes au patriarcat oriental
Les filles, ne baissez pas les bras !
La Ville de Québec a dévoilé quatre plaques commémoratives en hommage à des femmes ayant marqué son histoire
Qu’est-ce qu’une femme ?
La sororité est-elle possible ?
L’intersectionnalité dévoyée : le cheval de Troie des islamistes
Le système patriarcal à la base des inégalités entre les sexes
#8mars - Les "étincelles" de Sophie Grégoire Trudeau
Désolée, vous n’êtes pas égales
Élaine Audet et Micheline Carrier, récipiendaires du Prix PDF QUÉBEC 2016
Vous avez dit "mauvais genre" ?
Lorraine Pagé trace un tableau de la situation des femmes dans le monde
Sexisme politique, sexe social
Révolution féministe : site féministe universaliste et laïc
Il faut abolir les prisons pour femmes
Le féminisme islamique est-il un pseudo-féminisme ?
Pour un féminisme pluriel
Cachez-moi ce vilain féminisme
Féminisme - Le Groupe des treize veut rencontrer la ministre à la Condition féminine Lise Thériault
Combattre le patriarcat pour la dignité des femmes et le salut du monde
Martine Desjardins parle du Sommet des femmes à Montréal
Banaliser la misogynie, c’est dangereux
Féminisme - Faut-il faire le jeu du "Diviser pour régner" ?
Je suis blanche et vous me le reprochez !
La pensée binaire du féminisme intersectionnel ne peut que mener à l’incohérence
Lutter contre la pauvreté des femmes et la violence des hommes envers elles
"Du pain et des roses" - Le 26 mai 1995, une grande aventure débutait
Portrait des Québécoises en 2015 - L’égalité ? Mon œil !
Je plaide pour un féminisme qui n’essaie pas de s’édulcorer
La Maison de Marthe, première récipiendaire du Prix PDF Québec
Ensemble, réussir la 4ième Marche Mondiale des Femmes ! Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous resterons en marche !
Des "Déchaînées" aux genoux du patriarcat !
L’intervention féministe intersectionnelle – Troquer un idéal pour une idéologie trompeuse ?
Ce que révèle l’alliance de certains musulmans avec la droite réactionnaire
Au cœur de la division du mouvement féministe québécois : deux visions
Désaccord sur le virage de la Fédération des femmes du Québec
Féminisme islamique - Quand la confusion politique ne profite pas au féminisme
États généraux du féminisme - Des sujets importants écartés : "De qui ou de quoi avons-nous peur ?"
PDF Québec est lancé ! - Une voix pour les droits des femmes
États généraux et FFQ - Un féminisme accusateur source de dissension
Ignorer et défendre la domination masculine : le piège de l’intersectionnalité
Comment les hommes peuvent appuyer le féminisme
Le féminisme contemporain dans la culture porno : ni le playboy de papa, ni le féminisme de maman
Refuser d’être un homme. Pour en finir avec la virilité
Les micro-identités et le "libre choix" érigé en système menacent les luttes féministes
La misogynie n’a pas sa place dans le féminisme
L’écriture équitable - La féminisation des textes est un acte politique
Réfutation de mensonges au sujet d’Andrea Dworkin
Une éducation féministe donne de meilleurs fils
"Rien n’a encore pu me détruire" : entretien avec Catharine A. MacKinnon
France - La mainmise des hommes sur le monde de la radio
États généraux sur le féminisme au Québec/FFQ - Des exclusions fondées sur des motifs idéologiques et des faussetés
Le mouvement des « droits des hommes », la CAFE et l’Université de Toronto
Mensonges patriarcaux - Le mouvement des « droits des hommes » et sa misogynie sur nos campus
Féministes, gare à la dépolitisation ! Les féminismes individualiste et postmoderne
"Les femmes de droite", une oeuvre magistrale d’Andrea Dworkin
"Je suis libre", une incantation magique censée nous libérer des structures oppressives
Trans, queers et libéraux font annuler une conférence féministe radicale à Londres
« Le féminisme ou la mort »
"Des paradis vraiment bizarres" - "Reflets dans un œil d’homme ", un essai de Nancy Huston
Quand les stéréotypes contrôlent nos sens
"Agentivité sexuelle" et appropriation des stratégies sexistes
Cessons de dire que les jeunes femmes ne s’identifient pas au féminisme !
Un grand moment de féminisme en milieu universitaire
Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine
Résistance au sexe en contexte hétérosexuel
La CHI - Un humour dégradant et complice de l’injustice sociale
"Heartbreak", une autobiographie d’Andrea Dworkin
Hockey, suicide et construction sociale de la masculinité
Polémique sur l’enseignement du genre dans les manuels scolaires en France
Le "Gender" à l’américaine - Un verbiage qui noie la réalité du pouvoir patriarcal
2011-2015 - Un plan d’action pour un Québec égalitaire
NousFemmes.org
L’égalité inachevée
Journée internationale des femmes 2011 - Briser le silence sur toutes les formes de sexisme
En France et ailleurs, 2010, une mauvaise année pour les femmes
Ce qu’est le féminisme radical
Polygamie - Le Comité de réflexion sur la situation des femmes immigrées et “racisées” appuie l’avis du CSF
Il y a trois ans, mon cher Léo...
La Fédération des femmes du Québec représente-t-elle toutes les femmes ?
Tout est rentable dans le corps des femmes... pour ceux qui l’exploitent
Incessante tyrannie
Comment le patriarcat et le capitalisme renforcent-ils conjointement l’oppression des femmes ?
Égalité ou différence ? Le féminisme face à ses divisions
Le "gender gap" dans les Technologies de l’information et de la communication
La Marche mondiale des femmes dix ans plus tard
Azilda Marchand : une Québécoise qui fut de tous les combats pour les femmes !
Les hommes proféministes : compagnons de route ou faux amis ?
Prostitution et voile intégral – Sisyphe censuré par le réseau féministe NetFemmes
Regard sur l’égalité entre les femmes et les hommes : où en sommes-nous au Québec ?
Féminisme en ménopause ?
Ce n’est pas la France des NOBELS !
Écarter d’excellentes candidates en médecine ? Inadmissible !
Trois mousquetaires au féminin : Susan B. Anthony, Elizabeth Cady Stanton et Matilda Joslyn Gage
La question des privilèges - Le réalisateur Patric Jean répond à des critiques
Lettre à Patric Jean, réalisateur de "La domination masculine", et à bien d’autres...
Une grande féministe, Laurette Chrétien-Sloan, décédée en décembre 2009
Le travail, tant qu’il nous plaira !
Comme une odeur de misogynie
La patineuse
Invasion du sexisme dans un lycée public
Magazines, anorgasmie et autres dysfonctions
"Toutes et tous ensemble pour les droits des femmes !"
Cent ans d’antiféminisme
MLF : "Antoinette Fouque a un petit côté sectaire"
Des femmes : Une histoire du MLF de 1968 à 2008
Qui est déconnectée ? Réponse à Nathalie Collard
Manifeste du rassemblement pancanadien des jeunes féministes
Pour une Charte des droits des femmes
Andy Srougi perd sa poursuite en diffamation
La lesbienne dans Le Deuxième Sexe
Le livre noir de la condition des femmes
La percée de la mouvance masculiniste en Occident
Procès du féminisme
Humanisme, pédocriminalité et résistance masculiniste
Une critique des pages sur le viol du livre "Le Plaisir de tuer"
Mise au point sur la suspension d’un article critiquant le livre du Dr Michel Dubec
L’égalité des femmes au Québec, loin de la coupe aux lèvres !
Je suis féministe !
Écoféminisme et économie
Poursuite contre Barbara Legault et la revue "À Bâbord !" - Mise à jour
Biographie de Léo Thiers-Vidal
Vivement le temps de prendre son temps !
Séances d’information pour le projet d’une Politique d’égalité à la Ville de Montréal
Florence Montreynaud fait oeuvre d’amour et de mémoire
Magazines pour filles, changement de ton !
Un 30e anniversaire de la JIF sous la fronde conservatrice
L’égalité des femmes au Québec est-elle plus qu’une façade ?
Colloque sur Antigone
Prostitution et trafic sexuel - Dossier principal sur Sisyphe.org
Golf : "Gentlemen only, ladies forbidden" ?
Méchant ressac ou KIA raison ?
Dégénération de "Mes aïeux", un engouement questionnant
Les « Gender Studies », un gruyère confortable pour les universitaires
Réflexions "scientifiques" du haut du Mont Grey Lock
Madame, s’il vous plaît !
Annie Leclerc, philosophe
Des arguments de poids...
Pour hommes seulement
Andrea Dworkin ne croit pas que tout rapport sexuel hétéro est un viol
Peau d’Âme ou Beautés désespérées ?
Réflexions et questionnement d’une féministe en mutation
Mais pourquoi est-elle si méchante ?
Le concours « Les Jeudis Seins » s’inscrit dans le phénomène de l’hypersexualisation sociale
Aux femmes qui demandent - sans plus y croire - justice. Qu’elles vivent !
Jeux olympiques 2006 : félicitations, les filles !
7e Grève mondiale des femmes - Le Venezuela donne l’exemple
Évolution des droits des Québécoises et parcours d’une militante
2005, l’année de l’homme au Québec
Mes "problèmes de sexe" chez le garagiste !
Brèves considérations autour des représentations contemporaines du corps
OUI à la décriminalisation des personnes prostituées, NON à la décriminalisation de la prostitution
"Femmes, le pouvoir impossible", un livre de Marie-Joseph Bertini
L’AFEAS veut la représentation égalitaire à l’Assemblée nationale du Québec
Elles sont jeunes... eux pas
Dis-moi, « le genre », ça veut dire quoi ?
Quand donc les hommes ont-ils renoncé à la parole ?
Déconstruction du discours masculiniste sur la violence
Les hommes vont mal. Ah bon ?
La face visible d’un nouveau patriarcat
Quelle alternative au patriarcat ?
Le projet de loi du gouvernement Raffarin "relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste et homophobe" est indéfendable
L’influence des groupes de pères séparés sur le droit de la famille en Australie
Victoires incomplètes, avenir incertain : les enjeux du féminisme québécois
Retrouver l’élan du féminisme
Le droit d’éliminer les filles dans l’oeuf ?
Des nouvelles des masculinistes
Masculinisme et système de justice : du pleurnichage à l’intimidation
Nouvelle donne féministe : de la résistance à la conquête
Les masculinistes : s’ouvrir à leurs réalités et répondre à leurs besoins
Nouvelles Questions féministes : "À contresens de l’égalité"
S’assumer pour surmonter sa propre violence
Sisyphe, que de rochers il faudra encore rouler !
Coupables...et fières de l’être !
Un rapport de Condition féminine Canada démasque un discours qui nie les inégalités de genre
De la masculinité à l’anti-masculinisme : penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une position sociale oppressive
Les courants de pensée féministe
Quelques commentaires sur la domination patriarcale
Chroniques plurielles des luttes féministes au Québec
Qu’il est difficile de partir !
Deux cents participantes au premier rassemblement québécois des jeunes féministes
Le féminisme : comprendre, agir, changer
Le féminisme, une fausse route ? Une lutte secondaire ?
À l’ombre du Vaaag : retour sur le Point G
L’identité masculine ne se construit pas contre l’autre
Les hommes et le féminisme : intégrer la pensée féministe
La misère au masculin
Le Nobel de la paix 2003 à la juriste iranienne Shirin Ebadi
Hommes en désarroi et déroutes de la raison
Le « complot » féministe
Christine de Pisan au coeur d’une querelle antiféministe avant la lettre
Masculinisme et suicide chez les hommes
Le féminisme, chèvre émissaire !
L’autonomie de la FFQ, véritable enjeu de l’élection à la présidence
Les défis du féminisme d’aujourd’hui
Les arguments du discours masculiniste
Nouvelle présidente à la FFQ : changement de cap ?
La stratégie masculiniste, une offensive contre le féminisme
Le discours masculiniste dans les forums de discussion







Le féminisme radical, par l’intensité du changement social systémique qu’il propose, sera probablement toujours un courant marginal. Il a toutefois pu compter sur la participation de milliers de femmes à travers l’histoire, malgré l’opposition que certains de ses postulats ont rencontrée et rencontrent toujours.

Les critiques adressées actuellement au féminisme radical s’inscrivent dans un contexte de « déradicalisation » du féminisme, qui touche les écrits universitaires
(Descarries et autres 2007)* (1) comme le militantisme féministe de terrain au Québec (Blais [à paraître]). Elles peuvent également être comprises dans une volonté actuelle de repositionnement théorique et de changement de paradigme. Un « nouveau » féminisme, souvent appelé « troisième vague », tenterait ainsi de dépasser le féminisme de la « deuxième vague », trop fréquemment réduit au seul courant du féminisme radical.

Nous répondons principalement à l’introduction conceptuelle formulée par Maria Nengeh Mensah, première théoricienne francophone québécoise à avoir consacré un ouvrage à la définition de la « troisième vague » du féminisme. Celui-ci regroupe des auteures et des auteurs qui discutent d’idées déjà influentes au Québec
(Nengeh Mensah 2005 : 11-30), mais sans nécessairement adhérer à l’idée d’une troisième vague. En effet, les débats sur l’emploi de l’expression « troisième vague »
chez les féministes nord-américaines (notamment chez les États-Uniennes) sont d’actualité depuis le milieu des années 90 et ont influencé la théorisation de Nengeh Mensah (Baumgardner et Richards 2000 ; Crosbie 1997 ; Dickers et Piepmeir 2003 ; Findlen 2001 ; Heywood et Drake 1997 ; Zita 1997 ; Mitchell, Rundle et Karaian
2001).

Dans ce texte, nous avançons qu’une typologie pensée en termes de vagues réduit, dévalorise et évacue la complexité ainsi que la diversité des idées qui parcourent l’histoire et l’actualité du mouvement féministe. À partir d’un point de vue féministe radical, nous souhaitons mettre en lumière quelques lacunes, problèmes et conséquences mis en évidence dans la promotion d’un « nouveau » féminisme, dit de « troisième vague », qui masque les discussions qui ont eu lieu et ont toujours cours entre féministes, de même que leurs divers apports à ce mouvement hétérogène (2). Notre analyse se veut également pensée en fonction de la scène féministe québécoise, même si nous mentionnons d’autres influences idéologiques qui la traversent, soit française, canadienne-anglaise et états-unienne (Pagé 2006). Cette dernière influence s’est avérée particulièrement importante dans le développement de la pensée féministe québécoise (Descarries-Bélanger et Roy 1988 ; Péloquin 2007), comme en témoigne l’impact de théoriciennes telles que Judith Butler dans la littérature féministe, même francophone, notamment avec le nouveau tirage (2006) de la récente traduction (2005) de Gender Trouble (3).

Afin de nous interroger sur la pertinence de la catégorisation du mouvement féministe en termes de vagues, nous mettrons d’abord en lumière, à partir d’exemples tirés de l’histoire, l’existence d’analyses associées au féminisme radical à différentes époques, ce qui nous permettra de démontrer ainsi l’hétérogénéité des idées dans l’espace-temps. Nous analyserons ensuite la fausse association entre, d’une part, la pensée féministe radicale et, d’autre part, l’ensemble du féminisme de
« deuxième vague », tout en soulignant quelques idées empreintes de simplifications excessives au sujet du féminisme radical. La logique de « dépassement », de
« nouveauté » mise en avant dans le contexte de la « troisième vague » sera explorée par l’intermédiaire de la remise en question du parallélisme souvent observable entre le concept de « troisième vague » et les « jeunes féministes ». Les répercussions de cette réduction sur les féministes radicales « actuelles », dont les idéologies et
revendications ne correspondent pas à celles qui sont soutenues dans le contexte d’une « troisième vague » à laquelle elles sont censées appartenir de par leur époque
de militance, seront finalement remises en question.

Des éléments de définition

Il nous importe tout d’abord de définir dans le présent article ce qui pose problème, soit la notion de « troisième vague », en nous inspirant principalement des propos d’auteures et d’auteurs présentés par Nengeh Mensah, ainsi que des critiques d’auteures véhiculées durant des séminaires universitaires francophones et anglophones au Québec. Nous retenons les éléments communs de cette éclectique « troisième vague » dans le but de faciliter l’élaboration de notre argumentaire et non pour en réduire le contenu. Selon Nengeh Mensah (2005 : 15), les auteures et les auteurs associés à la « troisième » et « nouvelle » vague du féminisme ont en commun de :

    [...] renouveler les pratiques et les questionnements théoriques vis-à-vis, notamment, l’homogénéité d’un féminisme « intellectuel, blanc et hétérosexuel », par le biais de théorisations lesbiennes et d’autres minorités sexuelles, de théorisations des « femmes non blanches », de femmes pauvres, etc. [...] Le postmodernisme est une influence importante pour la théorisation de la troisième vague, mais les deux ne sont pas à confondre.

La notion d’hybridité serait au coeur de la « troisième vague » (Siegel 1997 : 53-54), de même que l’idée qu’aucune définition de l’oppression ne vaut pour toutes
les femmes en tout temps, en tout lieu et en toute situation. Par conséquent, certaines avancent que, plutôt que de concevoir la pérennité d’une hiérarchie entre les sexes, il importe de penser le pouvoir en termes circulaires, voire qu’il faut éviter une compréhension binaire des catégories de sexe (Butler 2006 : 63 ; Steinem 1992 : 179-180 ; Young 1994 : 720). Nengeh Mensah l’affirme notamment dans le cas des « jeunes féministes », aux yeux de qui les hommes ne posséderaient plus systématiquement des privilèges associés à leur classe. De ce fait, leur intégration au mouvement féministe serait désormais possible (Nengeh Mensah 2005 : 19).

Nengeh Mensah avance également qu’un rapport de rupture/continuité avec les autres « vagues » du féminisme caractériserait la « troisième vague ». Parmi les éléments de rupture, elle note la sexualité, qui constituerait un point de divergence important entre les théoriciennes apparentées à la « troisième vague » et celles qui sont associées à la « deuxième ». Certaines analyses féministes radicales à propos de la sexualité sont même qualifiées de « négatives » et « victimisantes » pour les femmes (Nengeh Mensah 2005 : 14). Les théorisations radicales sont, de manière plus générale, jugées « dogmatique[s] » et « essentialiste[s] » (Nengeh Mensah 2005 : 17). La volonté de féministes des années 80 de rompre avec certaines
conceptualisations et pratiques de la « deuxième vague » - notons, entre autres, les critiques de l’exclusion des femmes de couleur - s’avérerait un moment fondateur
menant à l’apparition d’une « troisième vague » (Nengeh Mensah 2005 : 14).

Enfin, selon Nengeh Mensah (2005 : 17), « les Québécoises francophones se situeraient davantage sur un axe de continuité avec la deuxième vague ». Elle précise ensuite que ces dernières cherchent à « dépass[er] des acquis appartenant à une autre génération de féministes », afin de se définir dans l’action politique « plus personnelle et quotidienne du type “ce que je fais, ce que je dis, ce que j’achète, c’est ma militance” » (Nengeh Mensah 2005 : 15 ; voir également Siegel 1997 : 57).

En ce sens, la théoricienne rapporte que la remise en question des pratiques féministes est souvent associée à la « jeunesse militante », et soutient même que les
expressions « troisième vague » et « jeunes féministes » sont, au Québec, employées comme des synonymes. Nous notons finalement que l’axe de la continuité est tout autant porteur de rupture puisque, d’un point de vue sémantique, il ne peut y avoir de dépassement sans une volonté de se détacher de certains cadres théoriques, de penser le féminisme autrement. (...)

Quelques idées fausses sur le féminisme radical : le cas québécois

La conception populaire du féminisme associé aux années 60 et 70 se concentre souvent sur des stéréotypes, où l’ensemble du mouvement est généralement représenté par quelques évènements, gains et images spectaculaires.

Cette réduction peut discréditer le bien-fondé des revendications, diminuer la reconnaissance de l’impact du féminisme sur la société québécoise et simplifier la diversité des idées qui avaient cours à l’époque. Le travail de conceptualisation d’une « troisième vague » n’aide en rien la déconstruction des préjugés et réduit les possibilités de construction de récits historiques inclusifs de toutes les pratiques et de tous les courants féministes. Un autre exemple de cette association problématique entre chronologie et idéologie réside dans l’équation unilatérale entre la « deuxième vague » et le féminisme radical, alors que, du moins pour le cas québécois, celle-ci n’a pas lieu d’être.

En effet, il importe de comprendre le mouvement féministe de la fin des années 60 et du début des années 70 dans sa diversité. Ainsi, dans ce climat fertile d’idées, féministes radicales, marxistes, indépendantistes, libérales et séparatistes lesbiennes se côtoient, débattent, s’allient, s’affrontent, se confondent, s’influencent et se divisent. Le féminisme de la « deuxième vague » n’est donc pas le seul fait du féminisme radical. Cette époque marque également la création de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) en 1966, organisation libérale dans son contexte de formation, qui a été vivement critiquée par des féministes radicales. Évidemment, plusieurs enjeux rassemblaient des femmes de divers horizons politiques. Pensons, entre autres, aux manifestations du 8 mars où libérales et radicales marchaient souvent côte à côte, ce que la mémoire sélective des médias ne permet pas toujours de reconnaître (Beauchamp 1987 ; Blais 2007). Les féministes québécoises ont également connu des divisions, au sujet notamment de la question nationale (Yanacopoulos 2003), des alliances et ruptures avec les féministes anglophones (O’Leary et Toupin 1982 : 71), des conflits avec les féministes marxistes (O’Leary et Toupin 1982 : 32-39), au sujet du séparatisme lesbien (Lamoureux 1986 : 96) et, de manière plus générale, des débats sur la marche à suivre et les moyens à employer pour améliorer ou révolutionner, selon le cas, les conditions de vie des femmes. Ainsi, les lignes se croisent et divergent, les féministes s’allient et se divisent.

La déconstruction des idées fausses sur le féminisme radical, du moins tel que nous le définissons, mériterait un vaste travail d’analyse. Par souci de concision,
nous nous pencherons uniquement sur l’une d’entre elles, soit la prétention voulant que les féministes radicales n’aient théorisé qu’un seul axe d’oppression - celle des
femmes - au détriment des autres formes de domination. Ce processus de simplification historique sera examiné à partir du cas des féministes radicales québécoises des années 60 et 70 (4). (...)

En cherchant à rétablir la réalité historique et idéologique du féminisme radical, nous avons voulu nous solidariser avec nos consoeurs qui s’identifient à ce courant et les inviter à participer activement à ce repositionnement du féminisme radical, autant sur la scène universitaire que sur la scène militante. Sans pour autant
affirmer que nous sommes contre toute forme de changement dans le mouvement féministe, ni prétendre que l’analyse féministe radicale soit elle-même exempte de toute critique, nous osons toutefois espérer que le féminisme radical sera, à l’avenir, représenté à sa juste valeur, car nous souhaitons le faire découvrir à d’autres femmes dans une version plus conforme à son authenticité idéologique. Qui plus est, nous croyons qu’il appartient aux féministes, qu’elles soient « jeunes » ou non, de se définir elles-mêmes et de déterminer les outils et les idées qu’elles trouvent utiles plutôt que de rejeter en bloc ce qui vient du passé. Le féminisme radical, pourtant accusé d’être « victimisant », a été - et est encore - pour nous quatre, nées au tournant des années 80, comme pour des milliers de femmes, un outil d’autonomisation (empowerment) formidable, une lunette qui a changé définitivement notre manière de voir le monde et les luttes que l’on doit y mener. Ne serait-ce que parce que nous refusons de dériver, de nous noyer dans les vagues, nous maintiendrons le cap en réaffirmant la pertinence du féminisme radical dans l’océan des courants de pensées féministes. (...)

* On se référera à la bibliographie du document original pour les références aux articles et œuvres citées entre parenthèses dans ces extraits. La revue Recherches féministes a autorisé la publication de ces extraits sur Sisyphe.

Notes


1. Nous remercions Francine Descarries de nous avoir fourni ses notes de communication de l’Acfas, où elle traite des résultats préliminaires d’une recherche en cours.
2. À noter que certaines féministes radicales sont moins récalcitrantes que d’autres à s’identifier à la « troisième vague ».
3. Pour comprendre l’impact de Judith Butler et des analyses postmodernes sur le
féminisme, ainsi que les différents courants qui interagissent à partir de cette influence,
voir Baril (2005).
4. À noter que les écrits et actions des groupes féministes radicaux québécois des années 1990 et 2000 pourraient également faire échec à plusieurs idées erronées sur le féminisme radical. À ce sujet, voir Pagé (2006).

 Source : La revue Recherches féministes a publié l’intégralité de cet article en 2007 (vol. 20, no 2, 2007 : 141-162). Les auteures sont de jeunes universitaires nées au tournant des années 80 et qui adhèrent au féminisme radical. Dans son numéro de mai/juin 2008, Recherches féministes soulignera son 20è anniversaire. Ce numéro spécial contiendra un CD contenant tous les articles de la revue depuis le premier numéro, cadeau offert aux abonnées et aux personnes qui achèteront la revue.

Pour s’abonner ou commander un numéro :

Pavillon Charles-De Koninck
Université Laval
Québec (Québec)
Canada G1K 7P4
Téléphone (418) 656-5418
Télécopieur (418) 656-5190
Site de Recherches féministes
Courriel.

 La revue Recherches féministes est membre de "Erudit", portail de diffusion des revues savantes au Québec, et est accessible sur le web à l’adresse suivante : www.erudit.org.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1er mars 2008



Format Noir & Blanc pour mieux imprimer ce texteImprimer ce texte   Nous suivre sur Twitter   Nous suivre sur Facebook
   Commenter cet article plus bas.

Mélissa Blais, Laurence Fortin-Pellerin, Ève-Marie Lampron et Geneviève Page



Plan-Liens Forum

  • > Pour éviter de se noyer dans la (troisième) vague : réflexions sur l’histoire et l’actualité du féminisme radical
    (1/2) 17 mars 2008 , par

  • >Remarques sur l’article : Pour éviter de se noyer dans la (troisième) vague : réflexions sur l’histoire et l’actualité du féminisme radical
    (2/2) 5 mars 2008 , par





  • > Pour éviter de se noyer dans la (troisième) vague : réflexions sur l’histoire et l’actualité du féminisme radical
    17 mars 2008 , par   [retour au début des forums]

    Très bien votre article sur la troisième vague.
    L’introduction du livre publié par M. N. Mensah sur cette troisième vague fait également un bilan de la première vague ainsi que de la deuxième. Ce bilan est très réducteur, sinon « négationniste ». Ainsi la première vague n’aurait eu comme objectif que le droit de vote des femmes quand en réalité cette vague s’est également attaquée à l’enfermement des femmes dans les bordels licenciés et à leur traite à des fins de prostitution. C’est la naissance du mouvement abolitionniste de la prostitution, mouvement impulsé par les féministes. Cette « révision » de l’histoire du féminisme est à mettre en lien avec cette interprétation de la « troisième vague », de M. N. Mensah .

    >Remarques sur l’article : Pour éviter de se noyer dans la (troisième) vague : réflexions sur l’histoire et l’actualité du féminisme radical
    5 mars 2008 , par   [retour au début des forums]

    Bonjour,
    J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre article et j’adhère à vos positions et analyses. Cependant, je ne comprends pas pourquoi lorsqu’il s’agit d’évoquer le lesbianisme, vous cessez tout à à coup d’appliquer ce que vous défendez avec ardeur : à savoir montrer la complexité du mouvement féministe de par l’existence de plusieurs tendances parmi lesquelles les femmes ont pu choisir.

    Est-ce par ignorance ou choix que vous réduisez le lesbianisme à la seule tendance du lesbianisme séparatiste et omettez donc de signaler l’existence du lesbianisme politique et du lesbianisme radical qui ont pourtant été des courants importants en opposition théorique avec le lesbianisme séparatiste ?

    Si c’est par ignorance que vous avez réduit le lesbianisme à une seule de ses tendances, je peux vous conseiller des textes fondamentaux qui vous permettront de restituer la réalité de l’époque.
    Danielle Charest
    danielle.charest@free.fr


        Pour afficher en permanence les plus récents titres et le logo de Sisyphe.org sur votre site, visitez la brève À propos de Sisyphe.

    © SISYPHE 2002-2008
    http://sisyphe.org | Archives | Plan du site | Copyright Sisyphe 2002-2016 | |Retour à la page d'accueil |Admin