Depuis quand des féministes se permettent-elles d’évaluer le degré de souffrance et les séquelles de la violence sexuelle induite par les rapports sociaux de genre et la hiérarchie des sexes, à l’aulne de la couleur de la peau, de l’âge, de la fonction ou du revenu des femmes qui la vivent ou la craignent ?
De quelles dérives, ou de quels clivages, le mouvement des femmes se nourrit-il lorsqu’il analyse la ségrégation sexuelle moins pénible si elle est vécue par une femme blanche, sous prétexte que la construction des structures sociales dominantes a été faite par ses pairs masculins et, qu’ainsi, les femmes de sa couleur seraient moins discriminées que ses sœurs noires ou immigrantes victimes aussi d’autres oppressions ?
De toutes les luttes et les recherches auxquelles j’ai participé depuis les années 70, sans compter toutes les formations que je donne sur le leadership et les habiletés politiques, nous avons admis que plusieurs femmes, notamment celles de groupes ethniques québécois, vivaient de multiples discriminations. Mais jamais nous avons osé prétendre que l’oppression sexuelle était moins lourde que les autres.
Au contraire, il y avait un consensus à l’effet que la discrimination sexuelle transcendait toutes les autres discriminations parce que le seul fait de naître femme nous encercle dans une logique de rapports sociaux qui reproduisent un statut d’infériorité des femmes et la domination du modèle masculin dans toutes les sphères de la société, peu importe l’origine ethnique.
Autrement dit, le genre constitue un principe d’organisation politique et sociale en vertu duquel les hommes et femmes ont une identité propre, des rôles et responsabilités spécifiques qui les situent différemment dans le pouvoir.
Par conséquent, les structures et les institutions comportent des éléments ou des pratiques discriminatoires résultant d’une situation historique, culturelle et religieuse différenciée selon les sexes.
Et ce ne serait plus entièrement vrai ? Il y aurait maintenant des différences selon que les femmes appartiennent à une certaine élite sociale, ou au système dominant, ou si elles sont plus jeunes, plus pauvres ou plus instruites ?
On procèderait maintenant à une hiérarchisation des droits plaçant le droit à l’égalité et à la non-discrimination sexuelle moins dommageable que les autres inégalités sociales.
Et pour expliquer ces changements, on ferait appel à une nouvelle approche de féminisme dite intersectorielle. Cela me fait penser aux débuts des luttes féministes où on tentait de nous expliquer que le système économique capitaliste était responsable de la ségrégation sexuelle et que le socialisme apporterait l’égalité.
Le mouvement féministe a riposté par la mise en cause du patriarcat et de ses manifestations à l’origine de tous les ordres économiques et les transcendant.
Sommes-nous en train de reculer ou de piétiner ? Sommes-nous en train de classer les femmes en deux clans : les privilégiées sous toutes ses formes et les autres ?
Que faisons-nous du fait qu’il y a des femmes violentées dans toutes les classes sociales ? Des femmes relayées au second plan, même dans les hautes sphères de pouvoir ? Des femmes qui portent la maison et les enfants sur leur dos quel que soit leur revenu ? Des femmes battues, et même tuées, sans égard à leur position sociale ou à leur revenu personnel ? Que faisons-nous des disparités salariales dans tous les métiers ?
Quand nous lisons ou apprenons ces faits, est-ce que nous nous demandons s’ils sont vécus par une femme blanche ou noire ; une femme de l’élite ou de la classe ouvrière et, se faisant, en évaluons-nous la portée plus ou moins grave ?
Bien humblement, je nous mets en garde contre toutes les théories qui viseraient à nous faire oublier notre positionnement social comme être de sexe féminin évoluant selon la logique de la différence sexuelle que l’on veut le fondement de l’identité des femmes.
Et cette différence sexuelle est utilisée pour justifier une hiérarchie de statuts et des rôles sociaux différenciés selon les sexes et pour expliquer l’ordre naturel des choses et des encadrements culturels et religieux.
Et je nous mets en garde contre le fractionnement du féminisme en bonnes et en méchantes, ce qui ne contribuerait certainement pas à poursuivre la longue marche des femmes pour l’égalité de droit et de fait.