Ce soir, cette nuit, mon très cher Léo, il y aura trois ans que tu t’es tué. Non par misandrie, non par “haine de soi”, comme l’affirment en l’absence de tout élément, quelques cyniques sans vergogne qui se réjouissent ouvertement de ta disparition.
Non, tu es mort, mon cher Léo, parce qu’on a piétiné ton enfance et que tu ne t’en es jamais remis.
Je n’aurais pas écrit ce petit texte, mon très cher Léo, si tu n’étais, de manière posthume, l’objet de commentaires particulièrement odieux et déplacés.
Il est nécessaire de répondre aux phallocrates jaloux et médiocres, qui te qualifient, toi, de “malheureux” et qui salissent ta mémoire.
Je veux rappeler ici quel garçon souriant et chaleureux tu étais, quel esprit vif et minutieux, et surtout quelle capacité tu avais à démonter froidement les mécanismes d’un patriarcat dont tu avais toi-même été la victime.
J’ai entendu des dizaines de fois, de ta bouche, le récit de ce que tu avais subi.
Aux pères, aux groupes de pères (divorcés le plus souvent) qui affirment sans savoir, voici donc, pour information, cet extrait qui explique tout l’engagement, toute la fragilité et la mort de Léo Thiers-Vidal :
“Sans rentrer dans une note trop biographique (…) il me semble important de donner des éléments de compréhension sur ma place sociale et comment celle-ci me semble avoir influencé ma prise de conscience des rapports d’oppression qu’exercent les hommes sur les femmes (…). Les violences psychologiques et physiques paternelles envers moi (dès ma petite enfance), (…) la violence et l’exploitation domestique et non-domestique de mon père vis-à-vis de ma mère ont eu des effets importants sur mon rapport à la masculinité et aux rapports hommes-femmes. Une solidarité instinctive avec ce que subissait ma mère au quotidien, ainsi qu’un rejet et une haine puissante envers mon père et ce qu’il représentait au niveau de la masculinité et de l’autorité, ont structuré un développement psycho-sexuel-affectif marginal : dès l’adolescence, l’incapacité de reprendre pleinement à mon compte les normes masculines (…) ainsi qu’un refus (ou échec) d’intégrer pleinement ‘la maison des hommes’ (Godelier), 1980)”.
Léo Thiers-Vidal, De L’Ennemi Principal aux principaux ennemis, position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination, Paris, l’Harmattan, 2010.
C’est le machisme qui tue tous les jours, comme l’a dit un jour Benoîte Groult. Et il arrive qu’il tue des hommes. Comme Léo.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 11 novembre 2010