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mardi 22 février 2005

La face visible d’un nouveau patriarcat

par Micheline Carrier






Écrits d'Élaine Audet



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Lors des auditions de la commission parlementaire sur l’Avis du Conseil du statut de la femme du Québec, au début de février 2005, le député péquiste Camil Bouchard a demandé à trois reprises à des représentantes de groupes s’il existait des données démontrant un parti-pris des tribunaux favorable aux mères dans l’attribution de la garde des enfants et, advenant le cas, si cela constituait de la discrimination systémique. L’ex-juge Claire L’Heureux-Dubé a répondu clairement à Camil Bouchard. Les porte-parole du Barreau auraient pu elles aussi informer le député si ce dernier avait jugé bon de les interroger lors de leur passage devant la commission parlementaire. Il a préféré interroger d’autres groupes qui ne sont pas spécialistes de ces questions. Camil Bouchard a fait allusion aux récriminations de certains groupes d’hommes, suggérant que la question de la garde des enfants puisse être l’une des principales sources de "leur acrimonie". Je veux croire que le député ne voulait pas insinuer que cette "acrimonie" se justifie par une attitude discriminatoire des tribunaux. Il faudrait alors qu’il cite les sources sur lesquelles repose cette opinion.

Le député connaît bien les questions psychosociales et juridiques relatives à la famille. Il sait donc qu’il n’existe pas d’études spécifiques sur cette soi-disant discrimination des tribunaux à l’égard des pères parce que les faits ne pourraient documenter de telles études. L’addition de cas particuliers, réels mais marginaux, ne se traduit pas par de la discrimination systémique. De plus, lors des ruptures, la majorité des hommes ne demandent pas la garde permanente des enfants. Le député Camil Bouchard n’ignore pas, je suppose, que certains militants des droits des pères propagent des calomnies sur les tribunaux et sur les mères dans le but de détourner l’attention du désagrément que leur cause l’obligation de payer au parent gardien une pension alimentaire pour leurs enfants. Si une mise à jour de ses connaissances est nécessaire au député, le service de recherche de son parti peut la lui procurer mieux que les groupes de femmes qui ont répondu à l’invitation de réagir à l’Avis du CSF, non à l’invitation de commenter de la propagande maquillée en point d’information.

L’expression d’un nouveau patriarcat

La question du député Camil Bouchard, reprise par le président de la commission parlementaire, le député Russell Copeman, fait écho à un préjugé très répandu depuis quelques années dans les médias et les milieux antiféministes. Réitérée quatre fois en cinq jours d’auditions - ce qui n’est certes pas fortuit - cette question qualifiée de « question qui tue », par un site antiféministe haineux, précédait de peu un film sur les pères soi-disant discriminés par les tribunaux diffusé à l’émission "Enjeux" de Radio-Canada, le 8 février 2005. Peut-être prépare-t-elle même la voie à des groupes d’hommes qui se présenteront, avec les mêmes prétentions, à la reprise des auditions de la commission parlementaire en mars.

« J’espère que de jeunes féministes réaliseront ce qui est en train de se passer, sournoisement, contre les femmes par une voie que l’on n’attendait pas : la maternité et les enfants.... », écrit une correspondante de Sisyphe. Cette riposte antiféministe est-elle si inattendue ? La famille demeure le domaine le plus vulnérable pour les femmes comme pour les hommes. Au cours des trois dernières décennies, les femmes québécoises et canadiennes ont fait des progrès dans plusieurs domaines. Elles sont plus autonomes sur les plans personnel et économique. Le Québec a modernisé ses législations sur la famille au début des années 80 afin de s’adapter à l’évolution sociale. Bien plus qu’à de la résistance, ce à quoi on assiste, aujourd’hui, c’est à une véritable tentative de rétablir l’autorité paternelle d’antan et le contrôle sur les mères. L’enfant en est l’enjeu et c’est pourtant en son nom qu’on prétend agir.

Cette tentative s’inscrit, il ne faut pas l’oublier, dans le contexte d’un conservatisme socio-politique et d’une résurgence de l’intégrisme religieux. Comme ailleurs, on voit au Québec les institutions religieuses essayer de retrouver leur influence auprès de la société civile et des milieux politiques. L’attitude hostile de l’Église catholique à l’égard de la reconnaissance par le gouvernement canadien du mariage des conjoints de même sexe en est un exemple. La tentative de certains groupes d’imposer la charia dans les tribunaux canadiens en est un autre. Par ailleurs, la tolérance accrue de la société pour les diverses formes d’abus sexuels à l’égard des enfants et des femmes, en particulier la prostitution et la pornographie, découle en partie de ce même contexte. Au-delà de la mythologie sur les besoins sexuels masculins présumés incontrôlables, cette tolérance à l’égard de la violence et de l’exploitation sexuelle traduit une volonté d’atteindre les femmes et de retrouver sur elles le pouvoir perdu au cours de la révolution féministe.

Jusque dans les institutions

Ce néo-patriarcat souhaite donc la restauration de l’autorité masculine et paternelle dans le sens traditionnel du terme. Bien sûr, il ne nomme pas ainsi ses ambitions. Il reçoit un accueil favorable non seulement de certains médias, mais des institutions politiques et psychosociales. Il s’exprime dans le « masculinisme d’État » auquel fait référence le mémoire du Collectif proféministe. On en retrouve également trace dans le "rapport Rondeau", un document plus propagandiste que scientifique, que le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a néanmoins fait sien sans examen critique. (Lire "Comment fabriquer un problème"). Et même, qui l’eût cru, l’Avis intitulé « Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes », ainsi que la Gazette des femmes du Conseil du statut de la femme y font écho.

Dans son édition de novembre-décembre 2004, la Gazette des femmes a publié (« parce que c’était son devoir », m’a dit sa rédactrice en chef), la lettre d’un masculiniste notoire qui sévit contre les féministes sur des sites Web. L’individu s’en prenait aux féministes, mais il félicitait en même temps le CSF parce que ce dernier avait parlé des pères… Ce qui a semblé séduire la direction de la Gazette des femmes. Dans l’édition de janvier-février 2005 de cette même revue, on peut lire, non sans sourire, qu’une photo publicitaire d’hommes politiques québécois et de vedettes masculines concernant la violence « illustre bien l’esprit de l’État sur la question de l’égalité entre les sexes » ! (1). Le même article, qui voulait peut-être préparer « les mentalités » à un futur conseil de l’égalité mixte, cite Michael Kaufman concernant l’engagement nécessaire des hommes dans la cause de l’égalité. Il n’est pas sûr que Kaufman soit la meilleure référence en la matière (2). Ce n’est qu’un début. Nous allons voir de plus en plus les hommes prendre la parole dans des instances jusqu’ici féminines (après tout, ils n’ont pas beaucoup de lieux de parole, les pauvres…), pour prôner le droit à l’égalité comme s’il leur suffisait de parler pour y contribuer. Dans certains cas, ce sont des femmes inquiètes de l’antiféminisme de plus en plus violents qui les aideront à restaurer l’ordre ancien dont certains ont la nostalgie.

Je rappelle, car on peut facilement l’oublier, que le lobby du néo-patriarcat ne représente qu’une minorité d’individus, mais une minorité qui se sent si bien appuyée qu’elle se comporte comme une majorité. Les milieux gouvernementaux, fédéraux et provinciaux, composés d’une majorité d’hommes, disposent d’un atout majeur pour soutenir le ressac antiféministe : les lois, qu’ils font et défont à volonté.

Passer sous silence les réalités des femmes

L’une des stratégies de ce néo-patriarcat consiste à décontextualiser les situations et à neutraliser le langage. Plus d’un groupe a d’ailleurs fait le même reproche au document de consultation du CSF (3). Dans le contexte de la garde des enfants, ce procédé de neutralisation et de décontextualisation permet de passer sous silence la réalité de la majorité des femmes qui sont parents gardiens et d’accorder une importance disproportionnée à la situation d’un faible pourcentage des pères séparés ou divorcés qui connaissent des difficultés de garde partagée ou de droit de visite.

En juin 2001, le Réseau des femmes ontariennes sur la garde légale des enfants a présenté un mémoire au Comité fédéral-provincial-territorial sur la garde, le droit de visite et les pensions alimentaires pour enfants. Ce mémoire démontre notamment la tendance de plus en plus affirmée, au sein des institutions publiques, à occulter la réalité des femmes et à adopter le point de vue du lobby des pères divorcés. Voici des extraits de ce mémoire révélateurs de ce néo-patriarcat. Ce document de référence mériterait d’être diffusé davantage.

Du document de consultation du comité fédéral-provincial-territorial, le mémoire du Réseau des femmes ontariennes sur la garde légale des enfants dit qu’il « ne fait pas la moindre référence aux femmes. Même s’il comprend quelques recommandations positives, cette omission est particulièrement étonnante compte tenu du fait que ce sont essentiellement les femmes qui ont été et continuent à être les principales pourvoyeuses des soins aux enfants.

« Le document de consultation traite du partage des responsabilités parentales après la séparation ou le divorce de façon complètement décontextualisée. Il ne tient pas compte de la réalité sociale, économique, politique et juridique des femmes, présume que les parents sont égaux et ne fait aucune référence au sexe des parents, ce qui n’est pas vrai. Toute proposition de réforme législative sera gravement défectueuse si l’on ne tient pas compte les diverses réalités les femmes et si l’on ne fait pas de l’égalité des femmes un objectif de base intégré à la réforme du droit de la famille.

« Pire, une approche neutraliste de la réforme de la Loi pourrait entraîner une aggravation des liens de subordination des femmes dans la famille et dans la société et rendre les mères encore plus vulnérables aux tactiques de contrôle, à la violence et aux abus de pouvoir. Nous croyons que certaines des approches proposées au public canadien dans le document de consultation pourraient avoir de telles conséquences... ». On retrouve également cette analyse dans le mémoire du Regroupement provincial des maisons d’hébergement et de transition pour les femmes victimes de violence et leurs enfants sur la réforme des lois sur le divorce. On oublie trop souvent que, parmi les 15% de cas litigieux en matière de divorce et de garde d’enfants, il y a des cas de violence familiale. Les juges tiennent sans doute compte de ce facteur dans l’attribution de la garde permanente ou de la garde partagée. Dans quelle mesure ce facteur influence-t-il la proportion de mères qui ont la garde de leurs enfants ?

Quelques stratégies du lobby des pères séparés

« Depuis 1997, poursuit le Réseau des femmes ontariennes sur la garde légale des enfants, la réforme du droit de la famille est influencée par les organisations partisanes des « droits du père ». En effet, le ministre de la Justice de l’époque s’était engagé à réformer les dispositions de la Loi sur le divorce portant sur la garde et les droits de visite, en échange d’une trêve dans la guerre menée par ces groupes contre sa proposition de Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. Le lobby des pères bénéficiait d’appuis importants au Sénat - entre autres la sénatrice Ann Cools - qui menaçaient de bloquer l’adoption de ce projet de loi. C’est cette dynamique qui a conduit à la mise sur pied du Comité spécial mixte sur la garde et le droit de visite en 1997 et à la publication du document de consultation actuel.

« Le lobby des pères s’est d’abord organisé sur la base d’un discours assez grossier et ouvertement intéressé : si les hommes allaient devoir verser plus d’argent à cause des Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, il fallait, en échange, leur concéder un plus grand accès aux enfants. Toutefois, lorsque les militants du lobby des pères se sont rendu compte que les Lignes directrices leur fournissaient une façon de réduire ou même d’éliminer ces paiements, leur discours a changé. En effet, la Loi prévoit que si un parent a un enfant plus de 40 p. 100 du temps, ses obligations alimentaires pourraient être substantiellement réduites, voire même éliminées. Les principales revendications du lobby des pères sont alors devenues la "garde conjointe", le "partage des responsabilités parentales" et d’autres variations sur le thème d’un accès "égal" aux enfants. Même si certains groupes réclamaient déjà ce genre de réformes en 1984-1985, au moment des derniers amendements apportés à la Loi sur le divorce, divers groupes partout au Canada ont été unanimes en 1998 à réclamer une présomption de garde conjointe dans les représentations adressées au Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite.

« Le lobby des pères a légitimé cette revendication en alléguant que ses membres étaient victimes de discrimination sexuelle dans un système judiciaire pétri de préjugés favorables à l’égard des femmes. En utilisant un "discours de complainte personnelle", ils ont réussi à se poser en victimes, tirant profit des consultations publiques organisées par le Comité spécial mixte sur la garde et le droit de visite et exploitant d’autres tribunes ainsi que les médias. Ces organisations ont également mis sur pied une campagne de pression vigoureuse et menaçante, tant au palier provincial que national, et un réseau d’unités locales.

« Les orientations politiques préconisés par le lobby des pères ont pour la plupart été reprises dans le Rapport final du Comité : partage des responsabilités parentales (plus précisément, "la prise de décisions partagées, voire du temps partagé également"), maximum de contacts avec les deux parents, plans parentaux ou médiation obligatoire, renforcement de la règle des "parents coopératifs", et l’adoption de programmes et sanctions visant le parent "non coopératif".

« Ce sont ces mêmes modèles de partage des responsabilités parentales qui refont surface aujourd’hui dans la plupart des options proposées dans le document de consultation. Il se peut que les ministres de la justice fédéral, provinciaux et territoriaux subissent l’influence indue des vociférations et des pressions bien coordonnées venant du lobby des pères. En contrepartie, nous croyons qu’une réforme du droit ne doit jamais être guidée par des prémisses idéologiques ; elle doit plutôt tenir compte des conditions bien réelles d’inégalité qui prévalent au sein de la famille, du droit de la famille et de la société... ».

Les droits d’accès des hommes

« ...Dans la section qui porte sur les discussions et les propositions en matière de droit de visite, il n’est nullement question d’une analyse de la situation des femmes comme d’ailleurs dans le reste du document de consultation. Par contre, le thème sous-jacent, qui fait partie d’un discours sexiste plus large, laisse entendre que les mères, qui ont habituellement la garde des enfants, empêchent fréquemment et malicieusement leurs enfants de voir leur père et qu’elles doivent être sanctionnées par les ordonnances de garde. Cette crise du « refus du droit de visite » s’articule autour d’un mythe misogyne qui veut que les mères agissent de façon égoïste et destructrice, en refusant les droits de visite aux pères sans raison valable. En fait, la contestation et le refus du droit de visite ne représentent qu’une infime partie du droit de la famille et c’est loin d’être la norme. La vaste majorité des familles sont en mesure de régler ces problèmes directement ou avec l’aide le leurs avocats... »

Le modèle de partage des responsabilités parentales

Le Réseau des femmes ontariennes sur la garde légale des enfants poursuit son analyse : « ... Le document de consultation établit le principe suivant : "Les enfants et les jeunes ont avantage à établir et à maintenir des liens étroits avec leurs deux parents". C’est sans doute à partir de ce principe que la majorité des réformes proposées dans le document favorisent la garde conjointe, les responsabilités parentales conjointes ou le partage des responsabilités parentales, cherchant ainsi à soutenir et à sanctionner les droits de visite des parents qui n’ont pas la garde, habituellement, les pères.

« À cet égard, les modèles proposés favorisent nettement, à la suite d’un divorce ou d’une séparation, l’accroissement de l’autorité des pères sur leurs enfants (et par extension sur leurs ex-conjointes). Ce préjugé favorable ne s’appuie pas sur une recherche empirique, il ne correspond pas non plus aux rôles parentaux courants et, dans bien des cas, non seulement il va à l’encontre de l’intérêt supérieur des enfants, mais il peut mettre en péril la sécurité et l’égalité des femmes. Il est important d’étudier les documents de recherche disponibles sur les expériences reliées aux régimes de partage des responsabilités parentales dans d’autres juridictions où l’on a démontré que ces politiques n’ont aucunement fait avancer les intérêts des enfants, mais ont plutôt lésé ces derniers... ».

On peut lire le mémoire du Réseau des femmes ontariennes sur la garde légale des enfants, daté du 2 juin 2001, sur le site de l’Association nationale de la femme et du droit.

Notes

1. Françoise Guénette et Monique Durand, « Que les hommes se lèvent ! ». Peut-être le gouvernement du Québec s’est-il inspiré, pour cette publicité, du gouvernement du Nouveau-Brunswick qui avait pris exactement la même initiative en décembre 2003, en réunissant des personnalités masculines autour du premier ministre Bernard Lord pour une publicité contre la violence faite aux femmes.
2. Dans son mémoire, le Collectif proféministe écrit ceci de Michael Kaufman, créateur de l’organisation « Campagne du ruban blanc » : « Il est un peu ironique que l’un des exemples utilisé soit celui de Kaufman alors que « au Canada, l’organisation proféministe "Campagne du ruban blanc" a recueilli à ses débuts plus de $ 400 000 pour la violence contre les femmes en promettant de remettre la moitié de ses "surplus" à des groupes féministes ; les femmes n’ont "pas reçu un sou" (Spark 1994) » (Dufresne, 1998 : 133). La même personne a fait partie de la délégation à l’ONU qui a réussi à vendre l’idée de financement de groupes d’hommes pour le « bien » des femmes ». (Voir Pour le droit des femmes à l’égalité.
3. Le ministère qu’occupait jusqu’ici Madame Michelle Courchesne ne se nomme-t-il pas ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, un masculin qui se veut neutre ?

On trouvera ci-dessous des sources qui semblent indiquer que l’influence du lobby de pères divorcés ou séparés sur les dirigeants politiques se manifeste à l’échelle internationale. Il est difficile de ne pas y voir un mouvement qui prend de l’envergure depuis quelques années et qui est dirigé contre les acquis des femmes dans la recherche de l’égalité.

Lectures suggérées

 Regroupement provincial des maisons d’hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale, « La réforme de la Loi sur le divorce, la sécurité d’abord ». Mémoire, août 2003.
 « La machine à broyer les solidarités... ». Commentaire sur l’émission « Enjeux » du 8 février 2005, par Lise Rousseau, présidente de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ), Michèle Asselin, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Francine Faubert, présidente de la Fédération québécoise des organismes communautaires Famille (FQOCF) et Lyne Boissinot, présidente de L’R des centres de femmes du Québec.
 « Nature et non-respect injustifié du droit de visite et du défaut d’exercer ce droit », ministère de La Justice du Canada
 « Garde partagée ou résidence alternée : l’enfant d’abord », par Jacqueline Phélip
 « La résidence alternée, une loi pour les adultes ? », par le Dr Maurice Berger
 « Les enfants du divorce ont besoin de notre protection », Michele Landsberg
 « L’influence des groupes de pères séparés sur le droit de la famille en Australie », par Miranda Kaye et Julia Tolmie
 « Mythes et réalités sur la garde des enfants et le droit de visite », Margaret Denike, Association de la femme et du droit de Vancouver, Agnes Huang, Conseil du statut de la femme de Vancouver
Patricia Kachuk, Centre de recherches FREDA sur la violence à l’égard des femmes et des enfants, juin 1998.
 « Un programme qui prive les enfants de leur mère », par Liz Richards
 « La ’paranoïa paternelle’ triomphera-t-elle ? », par Thrish Wilson
 « Des mères se battent contre la Justice pour protéger leurs enfants », Mères en lutte
 « La ’responsabilité parentale’ tiendra-t-elle ses promesses ? » par Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 18 février 2005.

Autre suggestion

Pierrette Bouchard, La stratégie masculiniste, une offensive contre le féminisme, Sisyphe, 1er avril 2003.



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Micheline Carrier
Sisyphe

Micheline Carrier est éditrice du site Sisyphe.org et des éditions Sisyphe avec Élaine Audet.



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