Lettre à Lise Thériault, ministre responsable de la Condition féminine.
Madame, il y a lieu d’être inquiètes pour nos concitoyennes incarcérées au provincial quand on apprend que depuis dix ans la situation matérielle continue de se détériorer dans les centres de détention québécois, comme le révèle le journaliste Jean-François Nadeau dans Le Devoir de la fin de semaine dernière (Les détenues paient le prix de l’austérité, 20 février). Avec ce que l’on sait de la règle du trop peu pour compter, on peut penser que la détérioration est à l’heure actuelle pire du côté des femmes, ce que le transfert actuel des détenues de la prison Tanguay — déclarée désuète en septembre dernier — vers la prison Leclerc pour hommes — pourtant déclarée désuète en 2012 — vient confirmer.
Par ailleurs, déménager les détenues de Tanguay, une prison pour femmes, dans une prison conçue et construite en fonction des caractéristiques et des besoins des hommes contrevenants, et où ceux-ci seront détenus avec des femmes, est une décision désastreuse que l’expérience passée et les expert-e-s condamnent d’avance à l’échec. Ce n’est que récemment, à la fin des années 1980, qu’on a enfin commencé à tenir davantage compte des besoins et des caractéristiques personnelles et familiales des femmes au niveau des conditions carcérales, ce qui a eu des effets significativement positifs sur leur vie et leur quotidien. Comme l’écrit Jean-François Nadeau : « La fermeture de la prison Tanguay constitue-t-elle un retour à des façons de faire anciennes [j’ajouterais même discriminatoires], au nom d’économies du moment ? »
Détention injuste
Mais est-ce là la véritable question ? Je pense quant à moi qu’il ne faut pas améliorer les prisons des femmes, mais les abolir pour la très grande majorité des femmes détenues au provincial et qui sont jugées non dangereuses pour la société. Pour la plupart de ces femmes condamnées, l’enfermement est inadéquat.
Beaucoup des délits reprochés à ces femmes (entre autres petits vols, fraude, quelques délits mineurs reliés aux drogues, prostitution) sont un effet secondaire de leur situation économique lamentable puisque la pauvreté les touche plus souvent que les hommes. Or, la criminalisation de ces petits délits contre la propriété et les « bonnes moeurs » ou liés aux drogues et aux stupéfiants (auxquels il faut ajouter le défaut de se conformer à une ordonnance de probation) serait responsable de la majorité des courtes peines d’emprisonnement dont écopent les femmes contrevenantes au niveau provincial, notamment celles qui atterrissent à Tanguay.
La criminologue Karlene Faith, dont Marie-Andrée Bertrand résumait la pensée dans son ouvrage Les femmes et la criminalité (2003), « croit que la prison est une institution du passé, les féministes feraient bien d’adopter une position abolitionniste plutôt que de tenter de réformer les prisons ; elles devraient faire contrepoids à tout mouvement qui utilise la privation de liberté comme réponse à la délinquance des femmes ».
La grande majorité des Québécoises incarcérées au niveau provincial se trouvent dans une situation de détention injuste en regard de la gravité des fautes qui leur sont reprochées : elles ne méritent pas l’enfermement. On sait pertinemment que ces femmes ne sont pas un danger pour la société et que, de façon générale, elles ne récidiveront pas. En plus d’être injustifié, cet enfermement ne fait qu’aggraver leur situation, une situation la plupart du temps précaire tant financièrement et socialement que sur le plan de leur santé physique et psychologique. Il s’agit majoritairement de femmes pauvres (où certaines minorités visibles surtout d’origine autochtone sont surreprésentées), de mères chefs de famille monoparentale et qui, à ma connaissance, ne sont pas reliées à des réseaux criminels.
Gaspillage de vies
L’enfermement de nombreuses femmes détenues au provincial est un gaspillage de vies, de temps et d’argent. Comme féministes, nous devons réclamer que tout cet argent investi inutilement pour enfermer ces femmes soit consacré à des politiques agressives pour contrer leur pauvreté, pour les former et pour les soutenir dans des démarches autonomisantes et valorisantes pour elles, car ce sont des conditions psychosociales et économiques difficiles qui les amènent en prison.
Nous devons refuser les prétextes administratifs et financiers — de même que la logique du trop peu pour compter —, afin d’expliquer et de justifier les conditions des femmes en prison et incidemment cette actuelle « déportation » des détenues de Tanguay. Ce n’est pas un problème d’argent, c’est une question de pouvoir et de volonté politiques. D’ailleurs, il serait moins coûteux de faire sortir ces femmes de prison que de les garder en milieu fermé.
Madame Thériault, vous élaborez présentement une politique de lutte contre la violence faite aux femmes. Allez-vous vous pencher sur cette autre violence que représente l’emprisonnement des femmes ? Vous savez bien que la plupart d’entre elles ont subi toutes les formes de violences : sexuelles, physiques (incluant la violence conjugale) et aussi psychologiques. Pensez-vous sérieusement que la prison est ce qui leur convient ? Je cite Lise Giroux et Sylvie Frigon dans leur étude Profil correctionnel 2007-2008 : les femmes confiées aux Services correctionnels (publiée en 2011), où elles tracent un portrait des femmes incarcérées : « Les femmes éprouvent également beaucoup de problèmes de santé mentale, comme la dépendance aux drogues et à l’alcool, la dépression, l’anxiété, les comportements suicidaires, l’automutilation et le syndrome de stress post-traumatique en détention qui survient comme une conséquence des abus passés. De l’ensemble de ces difficultés découlent des problèmes importants d’estime et d’affirmation de soi qui ne peuvent qu’entraver le processus de réinsertion sociale. »
Madame la ministre, à ces femmes qui souffrent, offrez l’espoir et de vrais moyens pour s’en sortir. Démontrez-nous concrètement que des femmes au pouvoir, ça peut réellement faire changer les choses !