« C’est pas toutes les femmes qui sont choyées par la nature, alors c’est plate pour celles qui auraient voulu gagner ces implants mammaires à ce concours ‘’Jeudis seins’’ ».
Voici les paroles d’un jeune homme aux médias concernant le fameux concours qui a été décrié par les groupes de femmes et qui a été retiré in extremis. Est-ce que l’identité et la réalisation des femmes doit passer par un concours de beauté ? À regarder tout ce qui se passe en ce moment dans la société, tout porte à croire que oui. Du moins, c’est ce que tente de nous imposer, et c’est bien réussi, les industries (mode, beauté, transformation du corps, publicité, amaigrissement) qui axent leur profit sur l’image corporelle des femmes... un marché lucratif, surtout que les modèles proposés sont INATTEIGNABLES. Les critères de beauté valorisés tels que être jeune, très mince, avoir une poitrine généreuse, une peau douce sans rides, des dents parfaites, une bouche pulpeuse ne sont pas à la portée de la majorité des femmes. Les statistiques le confirment, seulement 5% des femmes répondent à ces standards de beauté. Cette oppression constante sur l’image corporelle des femmes amène un sentiment permanent d’inadéquation et d’impuissance pour les 95% des femmes qui ne correspondent pas à ces standards. Et la banalisation du phénomène, entre autres par ce concours, ne fait que renforcer ces sentiments. C’est l’estime de soi qui est directement atteint.
Nous vivons donc présentement dans une société hypersexualisée et nous sommes sollicitéEs de toutes parts, que ce soit à la télévision, dans les revues ou sur internet, ce qui a pour conséquence de banaliser le phénomène. Un concours comme « les Jeudis seins » nous en donne tout à fait la preuve. Le capitalisme transforme tout en objet de consommation et utilise encore le corps de la femme comme un produit parmi tant d’autre.
Ces phénomènes sociaux peuvent avoir des répercussions considérables, l’une d’elles s’observe dans la sexualisation précoce des jeunes filles. Ces jeunes filles âgées de 8 à 13 ans représentent pour ces industries un marché lucratif, parce qu’elles représentent la plus grosse cohorte démographique depuis les baby-boomers. On leur fait porter un potentiel de séduction qu’elles ne peuvent pas pleinement assumer. En effet, ces jeunes filles ne possèdent pas nécessairement la maturité adéquate pour intégrer cette dimension. On les bombarde de messages visant l’image qu’elles doivent projeter soit d’être belles, minces, sexy, performantes sexuellement et séduisantes. On leur apprend à consommer et à investir sur leur image et à se soumettre aux garçons. On réduit leur pouvoir en valorisant seulement leur image extérieure d’elle-même au lieu de valoriser l’estime de soi par l’acceptation de ses forces et ses limites, le développement de l’amour de soi inconditionnel, le respect de ses valeurs, sentiments, ressentis, la confiance en sa capacité d’aimer et d’être aimée, etc. Bref, l’industrie et la société devraient miser davantage sur l’ÊTRE que sur le paraître.
Les femmes d’aujourd’hui subissent constamment une grande pression quant à l’image qu’elle projette, alors il n’est pas surprenant que 85% de la clientèle des chirurgies esthétiques soit féminine. On ne s’étonne guère de constater que 50% des femmes de poids santé normal, 70% des adolescentes et qu’une fillette de 9 ans sur 3 (1/3) fassent des efforts considérables pour maigrir. Au menu : boulimie, anorexie, complications de toute sorte tant pour la santé physique que psychologique des jeunes filles et des femmes. Ne nous leurrons pas, ce sentiment d’être inadéquate a une CAUSE : LE MODÈLE SOCIAL PROPOSÉ EST INACCESSIBLE. N’est-ce pas là l’indice que notre culture s’appuie toujours sur le regard patriarcal ? N’est-ce pas une indication que notre société se construit sur le socle du sexisme et de la discrimination envers les femmes ? Cela se reflète sur l’utilisation constante de l’image corporelle des femmes pour n’importe quoi.
Nous savons que nous ne pouvons espérer des changements sans la MOBILISATION des femmes, des groupes préoccupés par ce phénomène et de la population. Plus nous serons nombreuses et nombreux à poser des gestes de dénonciation de telles aberrations, plus nos actions vont permettre de changer les mentalités et les pratiques.
Carole Thériault, CALACS Granby (Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel)
Sophia Cotton, Entr’elles
Chrystiane Lebel Deshaies, Centre Femmes des Cantons
Carmen Paquin, Horizon pour Elle
L’équipe de Maison Alice Desmarais
Sophie Séguin, Syndicat des professionnels en soins infirmiers et respiratoires Haute-Yamaska
Sylvain Dupont, CDC Haute-Yamaska (Corporation de développement communautaire)
Patrice Perreault, Comité de pastorale sociale Granby et région
Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 avril 2006