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jeudi 24 octobre 2013

Ignorer et défendre la domination masculine : le piège de l’intersectionnalité

par Virginia Pele






Écrits d'Élaine Audet



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Le film « La Couleur des sentiments » est l’un des rares mettant en scène la solidarité entre femmes contre la suprématie masculine. Une femme, Eugenia, blanche et riche - qui pourtant n’échappe pas aux carcans phallocrates : elle doit subir les foudres de son entourage car elle ne veut pas se marier, et désire se consacrer à sa passion du journalisme - décide, face au racisme que subissent les femmes noires, de leur permettre de s’exprimer en racontant leur vécu en tant que domestiques pour des familles blanches.

Pour une fois, c’est le vécu des femmes noires qui est raconté, et non celui des hommes noirs, en l’occurrence. Ce qui rend le propos de la photo présentée inopérant : ce n’est pas les Blancs qui aident les Noirs à mettre fin au racisme. Ce sont des femmes, blanches et noires, qui font preuve de solidarité pour rendre compte de la situation des femmes noires et mettre ainsi le système phallocrate en difficulté.

Eugenia ne parle jamais à la place d’Aibileen, une des domestiques, ou de Minny et de toutes les autres femmes. Chacune des femmes noires domestiquées par les phallocrates racistes prend conscience que ce qu’elles subissent est intolérable, qu’elles doivent lutter comme elles le peuvent contre le système qui les opprime. Et ce n’est pas facile avec la répression raciste.

Eugenia n’utilise pas les privilèges que lui a accordés la phallocratie pour opprimer les femmes, comme le font ses amies. Conformément à l’éthique féministe (même si ce film n’est pas forcément féministe), elle met à profit sa situation pour aider les autres femmes. Comme l’a suggéré Sheila Jeffreys dans Man’s dominion, il est du devoir des féministes qui bénéficient d’une situation plus favorable que d’autres femmes - même si aucune femme n’est un être humain dans le monde - d’être solidaires, de lutter avec elles contre la suprématie masculine qui ne connaît aucune frontière. Le patriarcat divise les femmes au sein de ses institutions, mais quoi qu’il en soit, aucune femme ne peut être complice de la phallocratie sans embrasser sa propre subordination.

***

L’intersectionnalité est un piège, car elle suppose que les femmes sont auteures et bénéficiaires de privilèges de ‘classe’ et de ‘race’. Or les premiers instigateurs sont les hommes comme agents de l’oppression patriarcale. Ceux-ci sont ignorés, peu présents dans la réflexion, si ce n’est pour témoigner d’une solidarité sans faille des femmes à leur condition de « racisés » et d’exploités. Et pour cause, « les catégories ‘race’ et ‘classe’ contiennent aussi les hommes, et chaque théorie qui inclut les hommes a tendance à être dominées par leurs intérêts. » (Denise Thompson) (1). Car il faut bien se le mettre en tête : les hommes noirs ne sont jamais opprimés en tant qu’hommes. En examinant les textes de certains auteurs masculins ‘antiracistes’, comme ceux de Franz Fanon, vous observerez que les femmes blanches sont présentées comme des tentatrices voulant être violées par les hommes noires, et comme instigatrices premières du racisme, tandis que l’homme noir veut être frère avec « l’homme blanc ».

Quant aux femmes noires, ce sont les premières exclues par les hommes noirs du mouvement antiraciste, parce qu’elles ne sont pas des hommes. Cet aspect est occulté, et on préfère dénoncer le mouvement féministe comme propriété privée réservée aux femmes blanches. Quelle meilleure manière de passer sous silence les violences phallocrates subies par les femmes de couleur sous couvert d’antiracisme ?

Comme le suggère Diane Bell : « En considérant la violence comme un problème lié au racisme (i.e, ce sont les Blancs qui oppriment les Noires), les femmes sont muselées. … Il est utile de se poser la question que les féministes se sont posée lorsqu’il s’agissait d’examiner minutieusement la violence cachée au sein du foyer : Pour quels intérêts ce silence est-il maintenu ? Sous quelles conditions les femmes ont-elles la possibilité de mettre leur sécurité et celle de leur enfant au-dessus de ceux des hommes qui les battent et les violent ? … le besoin d’étudier cela sous l’angle de la construction des catégories raciales a entravé les découvertes qui pourraient rendre les femmes autonomes. » (2)

Bien sûr, tout ceci ne veut pas dire que la lutte contre le racisme ne fait pas partie intégrante du féminisme. Au contraire, on ne peut analyser et lutter contre le racisme sans exposer et combattre les aspects phallocrates de celui-ci.

L’approche postmoderniste ne le permet pas. On empile des systèmes d’oppression comme s’ils n’avaient aucun rapport les uns avec les autres : sexe, ‘race’, classe, ce qui ne permet aucune analyse féministe. Si les femmes ne sont pas les victimes d’un système d’oppression commun - la domination masculine - on ne peut rien faire contre celle-ci. Or le féminisme (radical) établit des liens logiques entre ces manifestations de la suprématie masculine.

En reconnaissant l’existence de la suprématie masculine opprimant toutes les femmes, on peut ensuite se concentrer sur ses diverses manifestations et lutter contre elles. Ceci évitera la déculpabilisation des hommes de couleur à qui l’on prête toujours de bonnes raisons pour opprimer les femmes : racisme, pauvreté, frustration sexuelle, etc… Entendons-nous bien, les hommes sont solidaires entre eux, tout ceci n’est pas seulement le lot des hommes noirs.

Afin de montrer l’imposture qu’est l’approche postmoderniste du féminisme, avec l’intersectionnalité, on abordera dans un premier temps un grand malentendu concernant le féminisme : l’objet du féminisme est la suprématie masculine, et non les femmes, une erreur qui aboutit à se focaliser sur les différences entre femmes, plutôt que sur différentes manifestations de la domination masculine ; puis l’aspect individualiste de l’approche intersectionnelle à travers la « standpoint theory » (« théorie du point de vue »), conduisant ainsi à ‘ignorer le mâle’ et enfin la défense de la suprématie masculine en ‘déculpabilisant le mâle’ sous couvert d’antiracisme ou d’anticapitalisme.

L’intersectionnalité

L’intersectionnalité place les relations de hiérarchie directement entre les femmes. C’est la femme blanche qui opprime la femme noire, la riche qui opprime la pauvre, corroborant ainsi les mythes phallocrates : les femmes sont les premières instigatrices de toute forme d’oppression. Ceci est en partie lié à une mauvaise définition du féminisme. Le féminisme repose sur l’identification de la suprématie masculine et la lutte contre ses valeurs et significations.

Si le féminisme est centré sur les femmes, c’est parce qu’il a pour objectif d’examiner le processus de subordination des femmes aux hommes. Dire que l’objet du féminisme est les femmes revient à dire que les valeurs phallocrates devraient être acceptées comme féministes, dès lors qu’elles seront professées par des femmes. Ceci occulte les agents de l’oppression patriarcale et ses bénéficiaires : les hommes.

C’est également nier le fait que les femmes n’ont pas le pouvoir d’imposer des instances phallocrates : ce ne sont pas les femmes qui ont initié les entreprises coloniales et l’exploitation capitaliste, ce ne sont pas les femmes qui utilisent le viol comme arme de guerre contre d’autres femmes. Bien sûr, certaines d’entre elles peuvent se faire complices de ces instances, elles n’en sont pas moins subordonnées, et n’en sont pas les instigatrices.

Ces politiques de dégradation de l’autre est issue d’une tradition patriarcale reposant en premier lieu sur l’asservissement des femmes alors « féminisées ». Le culte de la masculinité est à l’origine de ces politiques de domination : « La domination demande la déshumanisation de celles/ceux dont les droits humains ne peuvent se mettre en travers des intérêts des dominants, tout comme la masculinité exige la déshumanisation des femmes. » (Denise Thompson) ( 3).

Ignorer cet aspect assure la perpétuation des valeurs patriarcales, puisque jamais elles ne sont abordées et attaquées en tant que telles. Et le féminisme cesse d’exister : les femmes sont atomisées, elles n’ont rien en commun, et en plus ce sont certaines d’entre elles -blanches et riches - qui subordonneraient les femmes, mais aussi les hommes ! Il n’existe aucun projet féministe cohérent, sinon une multitude d’oppressions dont sont victimes les femmes, symétriquement aux hommes. Et comme le suggère Denise Thompson : « Ignorer la suprématie masculine revient à décontenancer la politique féministe de sa signification première. »

Notez, on entend rarement parler d’intersection des oppressions de ‘classe’ et de ‘sexe’ pour l’antiracisme, ou de ‘race’ et de ‘sexe’ pour l’anticapitalisme, si ce n’est que très superficiellement, parfois, pour les intégrer à une analyse phallocrate. Précisément, ce sont toutes deux des idéologies qui présentent peu d’intérêt pour les femmes à long terme, car elles n’abordent en aucun cas l’antagonisme de classe entre les sexes (davantage liés par des conditions matérielles que naturelles), et ne remettent pas du tout en cause les fondements masculinistes à l’origine du racisme et du capitalisme.

Ainsi, même les pensées dites progressistes s’intéressent au sort des hommes plus qu’à celui des femmes, et veulent assurer le statut d’êtres humains aux hommes, ce qui est légitime puisque détenteurs du phallus : « Puisque les hommes ont un sens plus prononcé de leur statut d’être humain, ils ont tendance à percevoir plus clairement leur exclusion des droits humains que les femmes. » (Denise Thompson) (4). D’où les reproches au féminisme et cette injonction d’intersectionnalité : comment les féministes (radicales) peuvent-elles oser remettre en question l’humanité définie par les hommes aux dépens des femmes, et les fondements patriarcaux de toute idéologie faisant la promotion de l’émancipation de tous les hommes ?

Seuls les hommes sont des sujets politiques, pas les femmes qui sont à leur image. Comme le dit Somer Brodribb dans Nothing Ma(t)ters : a feminist critique of postmodernism : « Seule la connaissance du corps des hommes et de la pensée des hommes est essentiel, les femmes sont non essentielles, les femmes sont essentialistes. (5) Et contredire cela, remettre en question la culture masculine est tellement inculte. » (6).

Selon ce principe, les féminismes « antiracistes », « socialistes » et « postmodernistes » (tous de fiers recyclages des idéologies patriarcales) tendent à éluder les aspects masculinistes du racisme, et du classisme, en déplaçant la responsabilité des hommes sur les femmes. Il n’y a donc pas de classe des femmes. Or comme le dit Denise Thompson : « Le féminisme ne peut se permettre de donner la priorité au racisme et au classisme, en ignorant la suprématie masculine ». Un exemple que nous entendons souvent : « Les suffragettes étaient racistes, elles ont même dit que les hommes noirs avaient eu le droit de vote avant les femmes ! »

Je ne sais si les suffragettes auraient donné cette explication, mais ce que ce phénomène prouve, car c’est une réalité, est que les hommes sont la référence en terme d’humanité. Ils définissent ce qu’est l’humanité. En effet, ils sont humains car ce sont des hommes, mais sont moins que des êtres humains car ne font pas partie de la classe dominante déterminée par la ‘race’ ou la classe. Les hommes ont plus à perdre que les femmes, mais les femmes en aucun cas. Qu’elles luttent ou non contre le racisme et le capitalisme, elles n’auront pas le statut d’êtres humains et conserveront le statut de subordonnées.

C’est ce qui explique l’échec successif des révolutions en termes de féminisme, qui est complètement absent, secondaire. Il n’est pas surprenant qu’une fois que les femmes ont aidé les hommes à se libérer d’une oppression raciste, totalitaire, capitaliste, ils demeurent leur Maître. Les intérêts des femmes ne sont pas ceux des hommes, et tant que la suprématie masculine n’est pas remise en cause, le statu quo, même dans un système favorable aux hommes : socialiste, démocratique etc…. est maintenu pour les femmes. Carole Pateman l’explique très bien dans le Contrat Sexuel : le patriarcat moderne repose sur le droit des hommes à opprimer les femmes, cela constitue l’attribut de la ‘fraternité’.

De plus, les partisan-es de l’intersectionnalité qui étudient l’oppression raciste, sexiste et classiste simultanément au nom du féminisme - ce qui est impossible sans examiner de la structure principale à l’origine de ces phénomènes - évoque rarement, contrairement au féminisme radical, l’aspect sexué du racisme et du capitalisme. Les a-t-on jamais entendu-es analyser l’exploitation sexuelle et la violence patriarcale que subissent les femmes colonisées par les Blancs ? Une corvée dont n’ont pas à faire les frais les hommes colonisés. Au contraire, en Australie, les femmes aborigènes ont été dépossédées de leur terre, de leur savoir, étant réduites à des esclaves sexuelles, à la reproduction, alors qu’elles assuraient souvent la survie de leur peuple par cette connaissance de la terre. Les hommes blancs ont ensuite conféré ces caractéristiques aux hommes aborigènes : fins connaisseurs de la terre, soutien de famille.

De même, les hommes ne vont pas arrêter de violer et de battre les femmes parce qu’ils sont victimes de racisme ou exploités. On le voit bien dans le film « La couleur des sentiments », d’ailleurs : Minny est battue par son mari dans une Amérique sous la ségrégation raciste. On a reproché à Alice Walker d’avoir écrit un livre raciste avec La Couleur pourpre, car là également, Celie se marie avec un homme noir dont elle est l’esclave, qui la bat et la viole régulièrement. Elle a été violée par son père et a donné naissance à deux enfants issus de ces viols. Mettre cela sur le compte du racisme ou de la pauvreté revient à culpabiliser les femmes victimes de ces violences phallocrates.

En quoi être victimes de racisme et de précarité confère-t-il aux hommes le droit de battre les femmes ? Les femmes sont muselées, réduites au silence, comme le dit Denise Thompson : « Il est peu commun, dans le débat féministe concernant le racisme, d’entendre que lutter contre le racisme signifie défendre les hommes de la ‘race’ subordonnée plutôt que les femmes noires, du Tiers-Monde ou autochtones dont les intérêts sont une fois de plus éludés en faveur des hommes. »

Par conséquent, ignorer le fait que les hommes sont la norme permettant d’atteindre le statut d’être humain ne permet pas d’entrevoir la structure patriarcale du racisme et du capitalisme, une structure qui demeure en conséquence au sein de l’antiracisme et de l’anticapitalisme.

‘Privatisation’ du féminisme

Par ailleurs, on assiste à un retournement de situation intéressant : le féminisme, c’est pour les Blanches. Comme si le féminisme était une propriété privée réservée à un certain type d’individues (comme si elles en étaient) : les femmes blanches et riches. Or le féminisme concerne toutes les femmes, dès lors qu’on lutte contre l’oppression patriarcale.

Cette « privatisation » du féminisme est liée à l’approche individualiste du postmodernisme à l’égard du féminisme, mais aussi à l’absence de définition du féminisme, comme je l’ai expliqué.

En effet, la « standpoint theory » est de rigueur. C’est-à-dire que notre vision des choses est différente selon notre position au sein de la société. Il y a plusieurs inconvénients à cette théorie. D’une part, ce n’est pas parce que l’on se situe d’une certaine manière dans la société que nous avons la grille de lecture pour identifier le processus social dans lequel nous nous inscrivons : l’expérience n’est pas preuve d’authenticité et ne procure pas à elle seule la théorie nécessaire pour analyser une situation. D’autre part, l’approche est clairement individualiste : tout est subjectif. Imaginez une femme qui parle en tant que femme, noire, ouvrière, puis une autre en tant que femme, riche, blanche, puis encore une autre en tant que noire, riche, et femme et ceci à l’infini. Quel système politique peut-on bâtir à partir de cette position ? Le féminisme n’a plus de raison d’être, aucune cohérence n’est mise en évidence.

Les caractéristiques individuelles plus que les mécanismes de la domination patriarcale sont mises en perspective : « Les trois catégories ‘genre, race et classe’ ne permettent pas de rendre compte de la domination car ces catégories sont trop distinctes et séparées, et se focalisent sur les catégories d’opprimées plus que sur les structures sociales qui oppriment. » (Denise Thompson) (7). En outre, si l’on dit que le féminisme est raciste et bourgeois, cela ne peut pas être du féminisme. Une humanité définit aux dépens d’une personne relève d’une logique patriarcale, et même si l’on veut nous faire croire le contraire, le féminisme patriarcal n’a pas de sens.

On entendra dans bon nombre d’ouvrages féministes radicaux parler de « feminist standpoint ». Remarquons ici la différence : les structures oppressives sont d’emblée identifiées, je le rappelle, ce sont les structures politiques qui déterminent notre manière d’être sociale. Et selon ce point de vue féministe : « Les intérêts des dominants sont toujours des intérêts issus de la suprématie masculine, dans le sens où ils impliquent les privilèges et le prestige de certains hommes au détriment des femmes en premier lieu, mais aussi d’autres hommes (…). » (Denise Thompson) (8).

Identifier les méfaits du racisme et du capitalisme sous un angle féministe, c’est-à-dire comme idéologies émanant de la suprématie masculine, permettra de lutter de manière plus rigoureuse contre ces dernières, c’est-à-dire en ne faisant pas prévaloir les intérêts des hommes sur les femmes, mais en envisageant une humanité véritable pour les sexes, faisant ainsi disparaître les catégories sexuées.

Aussi, il est inopérant de parler d’exclusion des femmes de couleur par le mouvement féministe qui serait un mouvement de femmes bourgeoises et blanches. En effet, les groupes socialistes et antiracistes ne sont pas connus pour faire valoir les intérêts des femmes de couleur. Le fait est que l’exclusion originelle des femmes de couleur est liée à la suprématie masculine : elles ne sont pas exclues parce que « noires », mais parce qu’elles sont femmes. Elles n’ont d’intérêts pour les hommes que si elles se joignent à leur lutte anticoloniale, anticapitaliste etc…, selon leurs modalités. Par ailleurs, mettre fin aux violences phallocrates, avoir la possibilité de choisir ou non d’avoir des enfants, la liberté d’agir autrement que par les contraintes imposées par la phallocratie, vivre décemment, ne sont pas uniquement dans l’intérêt des femmes blanches et riches. Mettre fin à la domination masculine est dans l’intérêt de toutes les femmes, d’autant que celle-ci se manifeste de façon subtile, diverse, sournoise et brutale.

Féminisme post-moderne et légitimation de la suprématie masculine

Ignorer la domination masculine aboutit à défendre la suprématie masculine. Les femmes sont responsables de toutes les misères des autres femmes, mais nous devons avoir de la compassion pour les hommes opprimés (et les hommes blancs, premiers responsables, sont les premiers absents de l’analyse).

Bell Hooks ne parle pas de domination masculine mais d’ « oppression sexiste » (9). La différence est importante : la domination masculine implique l’étude d’un processus politique qui bénéficie à un certain groupe social, et la seconde idée fait référence à n’importe quelle oppression vécue par les femmes.
Notons la contradiction ici : en faisant cela, Hooks ne distingue plus les formes d’oppression, mais en même temps, puisqu’elle veut perpétuer ces distinctions, elle parle de « white bourgeois women » qui seraient elles-mêmes instigatrices de l’oppression envers d’autres femmes. Nous sommes dans une impasse, une fois de plus, en situant les hiérarchies au sein de la classe des femmes, plutôt que le processus conduisant à ces hiérarchies non initiées par les femmes. C’est une appellation et un raisonnement qui ne peuvent être utilisés ni pour un projet féministe, puisque les différentes oppressions se jouent entre les femmes, ni pour désigner ces formes d’oppression car elles ne sont pas nommées.

Hooks affirme que la domination masculine n’est pas le problème principal des femmes de couleur et pauvres. Or la structure même du racisme et du capitalisme est phallocrate, mais pire encore, Hooks reconnaît certaines manifestations patriarcales comme étant une simple « caricature du chauvinisme mâle », mais qui en aucun cas n’assure aux hommes noirs un statut social privilégié, surtout par rapport aux femmes blanches (10). Nous voilà donc face à une légitimation de la domination masculine. Que devraient dire les femmes qui sont plus que les hommes affectées par la précarité ? Elles devraient les battre ? Non, simplement ignorer la domination masculine.

Il est plus que nécessaire d’examiner la complicité des hommes noirs et exploités avec les valeurs de la suprématie masculine, qui ne s’exerce en aucun cas en faveur des femmes de couleur.

Michele Wallace fournit un exemple éloquent dans All the women are white, All the Blacks are men, But some of us are Brave : Black women’s studies. Lorsqu’elle avait treize ans, elle s’est promenée les cheveux au vent, ils n’étaient pas tressés. Des hommes noirs l’ont interpellée en sifflant croyant qu’elle était une prostituée. Certes ces hommes sont opprimés car ils ne font pas partis de la classe qui les juge inférieur, il n’en demeure pas moins qu’ils embrassent les valeurs de la suprématie masculine, et on voit bien dans cet exemple, la sexualisation, au sens phallocrate, du racisme : on a une objectification spécifique des femmes noires, car elles sont noires (et femmes).

Ainsi, lutter contre le racisme et le capitalisme n’implique pas d’oblitérer la domination masculine. Au contraire, grâce au féminisme, on peut mettre en évidence la structure patriarcale de ces manifestions de la suprématie masculine. Par ailleurs, s’il est vrai que des femmes ont exploité des femmes moins aisées, comme on le voit dans « La Couleur des sentiments », c’est dans l’intérêt de leur mari. Dans le film, Hilly, raciste, n’en demeure pas moins une femme subordonnée sous le joug de son mari, son maître. Elle s’occupe de sa maison dans le but d’assurer son confort. En encensant son mari et les institutions phallocrates, Hilly ne fait que renforcer sa propre subordination.

Comme le souligne très justement Denise Thompson :

« Que les relations de classe et la domination raciale soient maintenues au détriment de certains hommes n’en fait pas pour autant des intérêts moins patriarcaux. Que ces intérêts soient aussi défendus par des femmes n’en fait pas pour autant des intérêts en faveur des femmes au sens féministe, puisqu’ils sont fondés sur la subordination des femmes. » (11).

L’universalisme

Abordons à présent la question de l’universalisme. Sous couvert de « false-universalism », les postmodernistes dénoncent l’entreprise féministe (radicale) qui suppose la subordination des femmes aux hommes, peu importe leur origine géographique ou sociale. L’universalisme a déjà été critiqué par le féminisme radical, puisqu’il a été fondé sur la subordination des femmes, néanmoins, il ne s’agit en aucun cas de prendre la défense de la suprématie masculine sous prétexte d’exotisme !

La lutte pour les droits humains des femmes et la dignité des femmes est centrale au féminisme, et tant que l’on prend en compte les conditions matérielles des femmes pour arriver à cette condition qui doit être universelle, on ne peut parler d’idéologie bourgeoise ou de « false-universalism ». Même Marx et Engels ont fait remarquer que les classes révolutionnaires parlent au nom de l’Homme universel (et pas des femmes, bien sûr).

Notez ainsi la méthode postmoderniste : il est interdit de parler des femmes comme subordonnées, mais la catégorie « femme » devient utile uniquement lorsqu’il s’agit d’évoquer les différences entre elles, masquant ainsi leur point commun : la domination masculine qui se manifeste de diverses façons car, qu’on le veuille ou non, la phallocratie étant sans frontière, le féminisme doit aussi l’être.

Ce n’est pas en dressant les femmes les unes contre les autres que la solidarité féministe verra le jour. Par définition, la solidarité féministe doit avoir lieu en prenant en compte les structures oppressives communes à toutes les femmes pour mieux les combattre quelle que soit leur manifestation. S’il existe des femmes blanches, les rejeter parce que blanches et potentiellement complices du système patriarcal ne relève pas de la politique. Le conflit ne pourra jamais être résolu, sauf preuve du contraire, on ne peut changer sa couleur de peau. Comme je l’ai expliqué, les femmes n’ont pas le pouvoir d’instaurer des structures phallocrates, elles n’en sont pas les initiatrices. À quoi bon se dire « féministe transnationale » si c’est pour jeter la pierre à la femme blanche plutôt qu’à la suprématie masculine ?

Illustrons notre cas avec Chandra Mohanty qui affirme ceci : « There is no universal patriarchal framework … unless one points an international male conspiracy or a monolithic, ahistorical power hierarchy ». Premièrement, les femmes sont définies comme “blanches”, “noires”, “riches”, etc… c’est-à-dire qu’il y a une négation totale de la subordination originelle des femmes parce qu’elles sont femmes. Ensuite, aucun lien n’est établi entre ces manifestations et la domination masculine. Précisément, en lisant les textes de Mohanty, vous remarquerez que son problème est de ne pas considérer les femmes en tant que classe antagoniste aux hommes : le problème se situe entre les femmes, selon elle, les femmes sont différentes entre elles, pas par rapports aux hommes dont elles sont les camarades de lutte.

Aussi, les violences patriarcales sont minimisées : « It is true that the potential of male violence against women circumbscribes and elucidates their social position to a certain extent », critiquant ainsi « l’absurdité » des féministes occidentales, divisant la société entre ceux qui ont le pouvoir - les hommes - et celles qui ne l’ont pas -les femmes. Cette phrase de Mohanty ridiculise et caricature la pensée féministe radicale, mais en plus, elle considère les violences phallocrates comme révélatrices de la position sociale des femmes… dans une certaine mesure ! Et non comme une arme politique contre les femmes.

Ce qui dérange également est le soi-disant aspect victimaire du féminisme radical. Pourtant, les femmes de couleur et pauvres souffrent-elles moins de la violence masculine ? Ne sont-elles pas les victimes de la division sexuelle du ‘travail’ ? Sans analyse féministe « pure », si j’ose dire, tout cela passe à la trappe, et les intérêts des hommes prévalent.

Et comme le dit Denise Thompson, si les luttes antiracistes et anticapitalistes devraient être le cœur des luttes « féministes, tout en ignorant la suprématie masculine« , c’est bien parce que « le racisme et l’exploitation capitaliste sont plus facilement détectée que l’oppression des femmes, car ils impliquent la déshumanisation des hommes ». (12)

Passer la domination masculine sous silence et trouver des excuses à ceux qui perpétuent ces violences paralysent le féminisme. En outre, être solidaires des féministes non occidentales n’implique pas un laisser-faire complice de la suprématie masculine, sous prétexte que ce sont des femmes opprimées par telles ou telles structures phallocrates, même pas identifiées comme telles, qui en ont décidé ainsi. Le féminisme est une lutte sans concession contre la domination masculine, son objectif premier est de redéfinir une humanité pour toutes et tous, de mettre ainsi fin à toutes les structures oppressives.

L’intersectionnalité perpétue la tradition patriarcale

Enfin, si l’intersectionnalité se targue d’aborder et de lutter contre tous les systèmes d’oppression, elle ne fait que perpétuer la tradition patriarcale en évacuant les rapports de force entre les sexes.

Pourtant, le féminisme peut apporter un éclairage nouveau et plus complexe à ces formes d’oppression, en les analysant comme émanant de la suprématie masculine. Il y a un déni flagrant, toutefois, de cette domination masculine, et du statut de subordonnées des femmes, y compris des femmes de couleur parce que femmes, qui conduit à faire prévaloir les résultantes de la suprématie masculine comme cause première de l’oppression, évacuant ainsi les premiers agents de l’oppression patriarcale.

Réduire le féminisme à une propriété privée des femmes blanches est également inopérant, et là se trouve le véritable racisme. Seules les femmes blanches auraient droit à la liberté ? Et n’est-ce pas un préjugé raciste d’associer la femme blanche à la futilité, à la légèreté, à l’avidité ? C’est là un portrait phallocrate. Et il est efficace puisqu’il divise les femmes. Le féminisme s’adresse à toutes les femmes voulant lutter pour leur liberté et contre la domination masculine.

Terminons avec Alice Walker : « When [Our Mother] thought of women moving, she automatically thought of women all over the world. She recognized that to contemplate the women’s movement in isolation from the rest of the world would be - given the racism, sexism, elitism and ignorance of so many American feminists -extremely defeating to solidarity among women (…). Our Mother had travelled and had every reason to understand that women’s freedom was an idea whose time had come and that it was an idea sweeping the world ».

© Women’s liberation without borders 2012. Publication originale. Merci à l’auteure d’autoriser la publication de cet article sur Sisyphe.


Pour aller plus loin :

. Catharine Mackinnon, "Points against postmodernism"
. "From practice to theory or what is a white woman anyway ?"- Catharine Mackinnon
. Denise Thompson, "Feminism and racism"
. Lire : Black Macho and the Myth of the Superwoman, Michele Wallace.
. Lire : Daughters of the dreaming, Diane Bell.
. Lire : Radically speaking, edited by Diane Bell and Renate Klein.
. « Why women cannot escape their Caste », Cherryblossomlife.
. Et je vous conseille de voir et/ou de lire La couleur pourpre d’Alice Walker.

Notes

1. « The categories of ‘race’ and ‘class’ also contain men, and any category which includes men tends to be dominated by the interests of men. », In Radical Feminism Today, p. 92.
2. “ by framing violence as a racial problem (i.e., it is Whites oppressing Blacks), women are rendered mute. … It is helpful ti ask the question feminists asked when scrutinizing the violence hidden in the home : In whose interests is silence maintained ? Under what conditions may women be able ti out their safety and that of their children above the needs of the men who beat and rape them ? … The need to work from within the race construct has contrained findings that might empower women.”, in « Intraracial rape revisited : on forging a feminist future beyond factions and frightening politics », Women’s Studies International Forum, p.385-412.
3. « Domination requires the dehumanization of those whose human rights cannot be allowed to stand in the way of the vested interests of the powerful, just as masculinity requires the dehumanization of women », In Radical feminism Today, p. 136.
4. « Because men are more secure in their humain status, they tend to have a clearer apprehension of their exclusion from human rights than women do »,Ibid., p. 92.
5. Je reviendrai sur cette citation importante. Brièvement, c’est une critique courante faite au féminisme radical qu’est l’essentialisme, sous prétexte que l’on parle de subordination des femmes aux hommes, lorsque l’utilisation de concepts phallocrates n’est jamais remise en question. Ces concepts sont les référents, et le féminisme doit faire avec. On confère aux hommes le statut de référents, un caractère intrinsèque, sans pour autant que cela soit examiné comme essentialiste. En conséquence, le féminisme se trouve limité dans sa pensée et actions.
6. « Only knowledge of the male body and male thought is essential, the female is unessential, the female is essentialist. And to contradict this, to speak against masculine culture, is so uncultured. », p xviii.
7. « The three categories of ‘gender, race and class’ fail as an account of domination because the categories remain both distinct and separated, and focus on categories of the oppressed rather than on the social structures which oppress », in Radical Feminism Today, p.94.
8. « …powerful vested interests are always male supremacist interests, in the sense that they involve the privilege and prestige of some men at the expense, firstly of women, but also of other men (…) », p.7. Ici.
9. In Feminist theory ; from Margin to Center.
10. Notez, Hooks refuse de considérer les hommes comme agents de l’oppression patriarcale sous prétexte que ceci soit une approche individualiste. Or selon l’analyse féministe radicale, les hommes n’existent qu’en tant que groupe politique, l’approche est loin d’être individualiste. D’ailleurs, si nommer ainsi les agents de l’oppression est individualiste, en quoi tenir les femmes blanches comme responsables de l’ « oppression sexiste » l’est-il moins ?
11. “That class relations and racial domination are maintained at the expense of some men, makes them no less male interests. That these interests are also defended by women does not make them women’s interests in any feminist sense, since they are based on women’s subordination”, in Radical Feminism Today, p.129.
12. « Racism and class exploitation are more readily perceivable than the oppression of women, because they involve the dehumanization of men », in Radical Feminism Today, p 92.

 Publication originale.

 On peut télécharger ce texte en fichier Word ou fichier PDF.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 octobre 2013



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Virginia Pele



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