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mercredi 20 avril 2005 Quand donc les hommes ont-ils renoncé à la parole ?
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Le deuxième congrès international masculiniste Paroles d’hommes se tiendra à l’Université de Montréal du 22 au 24 avril prochain. « Grâce à une gestion serrée des dépenses, au travail bénévole de toute l’équipe impliquée et aux subventions reçues, peut-on lire dans le Bulletin Paroles d’hommes #5, nous avons pu réduire le coût de l’inscription de 50%, soit 125$+taxes=143,78 $ ; ceci afin de permettre à un plus grand nombre d’entre vous de vous y inscrire ». Les subventions proviennent des sources suivantes : – M. Philippe Couillard, député de Mont-Royal et ministre de la Santé et des services sociaux.
« On dirait que nos ministres femmes sont favorables à l’amélioration de la condition masculine, écrit l’auteur du Bulletin #1. Nous entreprenons actuellement des démarches auprès du nouveau Gouvernement canadien pour que leurs représentants subventionnent aussi cette initiative québécoise ». Des lieux, des vedettes et des hommes Le Bulletin Paroles d’hommes #2 annonçait que ce congrès aurait lieu « dans les locaux de l’UQAM grâce à une collaboration tout à fait spéciale avec le Centre pour hommes à l’UQAM dont le directeur, M. René Huet, sexologue, est aussi membre du Conseil d’administration du CIPH. Déjà toute une équipe de bénévoles du département de sexologie de l’UQAM entoure le Conseil d’administration du Congrès afin d’en faciliter la promotion et la gestion logistique, sous la supervision de M. René Huet ». Or, le congrès se tiendra plutôt à l’Université de Montréal, car une forte contestation de la part de professeur-es et d’étudiant-es aurait incité l’Université du Québec à Montréal (UQAM) à changer d’avis (2). Le congrès Paroles d’hommes, dont le principal organisateur et le président est M. Yvon Dallaire, psychologue québécois, se voudrait, selon certain-es, un geste d’« harmonisation des rapports entre les hommes et les femmes ». « Le mouvement féministe devait avoir lieu », peut-on lire sur le site de Paroles d’hommes, comme si le féminisme n’avait plus de raison d’être, ce qu’affirment d’ailleurs les masculinistes de toutes tendances. Ce congrès « se veut une réflexion à voix haute sur les nouvelles préoccupations des hommes. Loin de nous l’idée d’entretenir un combat entre les sexes ; nous voulons plutôt un débat de société sur les nouvelles relations hommes-femmes » (3). Yvon Dallaire fait partie de la « seconde vague des masculinistes », ceux qui se veulent plus conciliants parce qu’ils ont compris qu’envelopper leurs propos et leurs intentions dans la ouate leur assurerait une meilleure audience auprès des médias, des subventionnaires et de l’opinion publique (4). C’est peut-être avec ces discours lénifiants que les organisateurs du congrès Paroles d’hommes ont pu attirer des personnalités publiques à titre de membres honoraires. Outre la comédienne et animatrice Louise Deschâtelets, vice-présidente du conseil d’administration du congrès, on retrouve Janette Bertrand, animatrice, auteure dramatique et comédienne ; Yvon Deschamps, auteur et humoriste ; Judi Richards, auteure, compositeure et interprète ; Patrick Huard, humoriste et comédien ; Jacques Languirand*, communicateur ; Sylvain Marcel, comédien (5). La phrase en exergue du Bulletin Paroles d’hommes #3 donne-t-elle le ton et l’orientation de l’événement ? « La femme n’est pas, comme dit le poète, l’avenir de l’homme, mais elle n’a aucun avenir sans l’homme. Claude (femme) de Milleville, Le couple, une espèce en voie d’apparition, Éd. Solar, 2004, p. 65 ». Les femmes hétérosexuelles qui vivent seules ainsi que les femmes lesbiennes apprécieront sûrement... J’aimerais toutefois connaître le contexte de cette phrase : la dénommée de Milleville a-t-elle voulu dire que "la" femme n’a pas d’avenir si "l"’homme résiste au changement, ou bien, que l’avenir des femmes vivant seules serait un échec personnel et social ? Les masculinistes aiment bien citer des propos de femmes, surtout de femmes antiféministes comme Élisabeth Badinter devenue une vraie icône masculiniste et dont une phrase figure comme slogan sur le site de Paroles d’hommes. Le discours d’un homme « fier de l’être » Le principal organisateur de ce congrès est-il aussi bien disposé qu’il le laisse entendre à l’égard de l’évolution des femmes, une évolution qui a eu lieu et devra se poursuivre grâce au féminisme ? À la lumière de certaines lectures, la question me semble légitime. Dans un article de la revue Service social (Vol.50, 2003, p. 145 à 173) intitulé « Le discours des défenseurs des droits des hommes sur la violence conjugale : Une analyse critique », Normand Brodeur a analysé trois ouvrages masculinistes, dont « Homme et fier de l’être », de M. Yvon Dallaire. La position de M. Dallaire sur la violence faite aux femmes en milieu conjugal, par exemple, laisse pour le moins perplexe. Pour lui, la violence masculine serait un mode « d’affirmation » et « d’expression », découlerait d’un besoin « naturel » masculin d’organiser son environnement et le monde. Voici des extraits de l’analyse de Normand Brodeur. « Ces auteurs estiment que le divorce, motivé de plus en plus par des raisons égoïstes (voir, par exemple, Dallaire, 2001, p. 141), a un impact psychologique plus lourd pour les hommes que pour les femmes qui, dans la majorité des cas, en sont les instigatrices ». Bref, si le divorce découle de l’égoïsme et que les femmes en sont le plus souvent les instigatrices, faut-il conclure que les femmes sont des égoïstes quand elles quittent les hommes ? Ou bien, serait-il envisageable que les femmes demandent plus souvent le divorce parce que les hommes leur en fournissent plus souvent de bonnes raisons ? « Dallaire (2001) abonde dans le même sens [que les autres auteurs analysés], poursuit Brodeur, en affirmant que tous les hommes sont victimes de préjugés qui les présentent comme des êtres violents, des violeurs en puissance ou des abuseurs d’enfants. "À entendre [les femmes], (écrit Dallaire) […] l’homme serait le côté sombre de l’humanité, alors que la femme en serait le côté lumineux, celle qui sait mieux que lui comment les choses devraient fonctionner. Il faudrait donc que la femme prenne non seulement le contrôle de la famille, de l’éducation des enfants, de la gestion des soins, mais qu’elle prenne aussi le contrôle économique et politique de la société pour qu’advienne une véritable civilisation humaine" ». (Dallaire, 2001, p.17.) « Pour les auteurs, ce procès symbolique ternit la réputation de l’homme et a plusieurs effets néfastes sur lui. Ainsi, Dallaire (2001) mentionne que les pères sont perçus comme des menaces pour leurs enfants, que les garçons n’ont plus de modèles positifs auxquels s’identifier, que les filles se méfient des garçons et que les femmes perçoivent la sexualité masculine comme agressive et violente (...). Le féminisme "extrémiste" serait ainsi devenu une nouvelle dictature cherchant à corriger une injustice en en créant une autre et à « faire payer aux méchants tout ce qu’ils ont fait aux victimes » (Dallaire, 2001, p. 19). Quant au pouvoir dominant des hommes dans la société, il serait factice, selon Dallaire. « Dallaire (2001, p. 58) va encore plus loin dans sa critique de la notion de patriarcat en soutenant que "les hommes ont peut être le pouvoir social, politique, juridique et économique, mais que le vrai pouvoir, le pouvoir occulte, est entre les mains des femmes" ». De tels propos font penser à la psychologie populaire d’une autre époque. Du genre "derrière tout grand homme, il y a une femme..." La violence envers les conjointes, un mode d’affirmation Normand Brodeur souligne que « les défenseurs des droits des hommes expliquent la présence de violence à l’intérieur des couples à partir de facteurs interactionnels, biologiques, économiques ou psychologiques. Ils rejettent toutefois les explications fondées sur une analyse des rapports sociaux de genre » (...). « Les féministes considèrent la violence comme un instrument de domination et dénoncent la tendance des hommes à vouloir contrôler leur partenaire, poursuit Brodeur. Dallaire (2001, p. 211) s’oppose à cette analyse de deux façons. Il considère d’abord que les hommes entrent naturellement en relation selon un mode hiérarchique. S’ils veulent ordonner les choses, dit-il, c’est pour qu’elles fonctionnent bien et non pas pour dominer leur partenaire. L’auteur attribue ensuite à la violence une fonction expressive. L’homme, dit-il, envoie des messages à sa partenaire avant de passer aux gestes violents. Ce n’est que lorsque ces signaux ne sont pas entendus qu’il "s’affirme" par la violence physique (p. 97). "Bardasser", fermer les portes et panneaux d’armoire avec force, voire frapper sa partenaire constituent des moyens par lesquels il exprime sa frustration (p. 109) ». Autrement dit, si les femmes n’obtempèrent pas aux avertissements de leurs conjoints, ces derniers sont justifiés de les violenter car ils "s’affirment" alors selon leur "nature". Brodeur estime que les défenseurs des droits des hommes « s’emploient généralement à nier le caractère instrumental des comportements violents des hommes en contexte conjugal. La démarche féministe, qui consiste à présenter les comportements violents et le recours au système judiciaire comme autant d’instruments de pouvoir à la disposition des protagonistes, paraît à cet égard beaucoup plus cohérente », dit le chercheur. « La conception féministe de la violence conjugale se situe quant à elle à l’intérieur du paradigme de l’instrumentalité. Pour Pierre Karli (1994, p. 47), "la notion de valeur instrumentale de l’agression fait allusion au fait que le répertoire comportemental […] dote l’être vivant des moyens d’action qui lui sont nécessaires pour obtenir ce qu’il cherche et pour éviter ce à quoi il veut échapper". Vu sous cet angle, le geste violent est un outil à la disposition de la personne qui l’emploie. Il trouve sa source dans les attentes, les désirs et les buts plus ou moins conscients que l’individu poursuit. C’est dans cet esprit que les féministes mettent en relief le caractère intentionnel des comportements de violence conjugale (Shepard, 1991), leur effet paralysant sur les victimes et les privilèges que les agresseurs en retirent. Elles présument que ces effets sont ceux qui étaient recherchés au départ. « Bien que toutes les analyses féministes attribuent une fonction instrumentale à la violence, la notion dépasse largement le cadre du féminisme. On la retrouve notamment dans les théories de l’apprentissage social qui considèrent les conséquences attendues comme déterminantes dans l’acquisition et le renforcement du comportement violent (Bandura, 1977)… ». Brodeur cite des critiques de « la conception féministe classique selon laquelle les conjoints aux comportements violents cherchent toujours à contrôler et à dominer les femmes, les motifs qu’ils invoquent pour expliquer leur comportement étant toujours considérés comme des prétextes (...). Cette approche, dit-il, se distingue du discours féministe plus traditionnel, mais aussi d’une approche comme celle que propose Dallaire (2001) ». Dallaire s’appuie « sur des statistiques américaines des années 1970, (Dallaire 2001, p. 124) » pour affirmer « qu’il y a autant d’hommes que de femmes tués par leur conjoint. Contrairement à ce que Dupuy (2000) et Dallaire (2001) affirment, les données sur l’homicide conjugal ne permettent pas non plus de démontrer la symétrie de la violence entre les deux sexes, souligne Brodeur. En fait, la proportion de meurtriers et de meurtrières est d’environ de trois pour un, tant au Canada que dans la plupart des pays occidentaux où l’on tient des statistiques sur ce phénomène (Centre canadien de la statistique juridique, 2002 ; Wilson et Daly, 1993) (...). Plusieurs études mettent en évidence de véritables différences dans la façon dont les individus des deux sexes font usage de violence envers leur partenaire ». Le système judiciaire, comme le prétendent les masculinistes, serait-il injuste envers les hommes accusés de violence conjugale ? Brodeur réfute cette prétention : « On peut toutefois ajouter qu’il n’y a pas non plus d’indication d’une persécution hitlérienne à leur égard : le système judiciaire est certes particulièrement sévère envers eux au début de la procédure judiciaire, mais la majorité s’en tire en bout de ligne sans verdict de culpabilité ou avec une sentence moins lourde que les hommes accusés d’autres crimes ». Brodeur conclut qu’il est peu probable qu’émerge un jour un consensus sur les définitions courantes de la violence, la question de la violence féminine et l’équilibre entre la protection des victimes et celle des droits des accusés. « Il faut toutefois souhaiter, dit-il, que la discussion se poursuive dans un esprit d’humilité et d’ouverture, en se rappelant que les théories sur les causes de la violence conjugale demeurent toujours embryonnaires, même après trente ans de recherche (Harway et O’Neil, 1999). Pour manifester cette ouverture d’esprit, les défenseurs des droits des hommes doivent à notre avis dépasser leur opposition au féminisme radical et considérer davantage l’apport théorique que le mouvement de défense des femmes violentées a fourni ». Proféministes, bâilleurs de fonds et médias M. Yvon Dallaire, supposément en faveur de l’évolution des femmes et qui souligne à juste titre sur le site Paroles d’hommes la contribution de leurs « compagnons », a pourtant une piètre opinion des hommes qui ont soutenu et soutiennent toujours les aspirations et les luttes féministes : « Le féminisme "extrémiste" (6) a pu s’imposer, disent les auteurs [analysés par Brodeur], parce qu’il a bénéficié de la complicité d’hommes proféministes. Dallaire (2001) présente ces derniers comme des hommes qui, ne pouvant "sentir leurs semblables" (p. 67), se mettent volontairement du côté des féministes pour combattre leur propre sexe ; ce sont, en d’autres termes, "des loups dans la bergerie" (p. 71) ». Alors pourquoi ce masculiniste convaincu a-t-il voulu attirer dans sa propre « bergerie », à titre de membres honoraires du congrès Paroles d’hommes, quelques-uns de ces « loups » dont le Conseil du statut de la femme a souligné, en 2003, la « complicité » avec les féministes ? Les groupes masculinistes ont bien le droit, me direz-vous, de tenir leurs colloques, congrès ou autres activités et de demander l’appui de vedettes pour faire la promotion de ces événements. Je ne leur conteste pas ce droit. Mais quand je lis sur leurs sites qu’ils organisent des colloques parce qu’il est temps que les hommes reprennent la parole, je trouve qu’ils ne manquent pas de culot ! Quand donc les hommes ont-ils renoncé à la parole autrement que volontairement et à leur convenance ? Il faudrait peut-être traduire « il est temps que les hommes reprennent la parole » par « il est temps que les féministes se taisent » car elles ont assez mis à mal les certitudes d’individus qui se pensent investis d’une mission "naturelle" d’organiser et de programmer l’univers à leur image et à leur ressemblance. La majorité des femmes ont à peine commencé à s’exprimer après des millénaires de parole "unisexe" que certains se sentent déjà fatigués de les écouter un peu. Écouter, à leurs yeux, ce serait être dépossédé de la parole. Les masculinistes, notamment ceux qui cherchent à nier ou à atténuer l’importance de la violence faite aux femmes, font obstacle à la lutte contre cette violence. Ils ne contribuent ni à « l’harmonisation des sexes » ni à une société meilleure. Alors, pourquoi un gouvernement qui prétend avoir pris des engagements contre la violence faite aux femmes et en faveur de l’égalité subventionne-t-il les activités de tels groupes ? Et pourquoi des personnalités publiques, perçues comme sensibles, voire favorables aux valeurs défendues par les féministes de toutes allégeances, cautionnent-elles ces groupes en prêtant leur nom à leurs activités ? Enfin, les médias font largement leur part dans la promotion du discours masculiniste « soft ». Le Bulletin Paroles d’hommes #5 vous demande de « surveiller Le Devoir du week-end, il devrait y avoir un article sur le congrès » et « À moins de changement, l’émission Maisonneuve en direct de la radio de Radio-Canada du vendredi 22 avril, à 12h15, réunira trois conférenciers à notre Congrès, soit Lorraine Filion, Guy Corneau et Jan Piet de Man et portera sur la relation Parent-enfant. Tenez-vous prêt du téléphone : 597.3700 (Montréal) ou 1.877.697.3700 (extérieur de Montréal) ». Bref, « paquetez » donc l’émission « les boys », ce ne sera d’ailleurs pas la première fois à des émissions de ce genre (sans jeu de mots). Je conçois très bien que les médias rendent compte de ce « phénomène social ». Mais un peu plus de sens critique à l’égard du discours que sous-tend ledit phénomène ne nuirait pas au droit du public à une information plus complète et plus vraie. * Jacques Languirand a demandé que son nom soit retiré de tout ce qui concerne Paroles d’hommes. Au 19 avril, 11h30, il figurait toujours sur la page "Qui sommes-nous ?" du site Paroles d’hommes, parmi les autres membres honoraires. Notes 1. Site Paroles d’hommes : section commanditaires, [site visité le 12 avril 2005, à 22h]. Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 avril 2005. Lire également « Comment fabriquer un problème », par une Coalition de groupes de femmes. Il s’agit d’une critique du "Rapport Rondeau", du nom de Gilles Rondeau, conférencier au congrès Paroles d’hommes. On apprendra dans ce document critique comment on fabrique une recherche... |