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jeudi 1er mars 2012

Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine

par Mona Chollet, Périphéries






Écrits d'Élaine Audet



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Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine (Zones /La Découverte, 250 pages, 18 euros) reprend et approfondit des analyses ébauchées soit sur le site de l’auteure, Périphéries, soit dans Le Monde diplomatique où elle tient chronique. Avec son autorisation, nous vous proposons ici l’introduction de ce livre.

Ecrire un livre pour critiquer le désir de beauté ? « Il n’y a pas de mal à vouloir être belle ! », m’a-t-on parfois objecté lorsque j’évoquais autour de moi le projet de cet essai. Non, en effet : ce désir, je souhaite même le défendre (voir chapitre 2). Le problème, c’est que dire cela à une femme aujourd’hui revient un peu à dire à un alcoolique au bord du coma éthylique qu’un petit verre de temps en temps n’a jamais fait de mal à personne.

Autant l’admettre : dans une société où compte avant tout l’écoulement des produits, où la logique consumériste s’étend à tous les domaines de la vie, où l’évanouissement des idéaux laisse le champ libre à toutes les névroses, où règnent à la fois les fantasmes de toute-puissance et une très vieille haine du corps, surtout lorsqu’il est féminin, nous n’avons quasiment aucune chance de vivre les soins de beauté dans le climat de sérénité idyllique que nous vend l’illusion publicitaire. Pourtant, même si l’on soupire de temps à autre contre des normes tyranniques, la réalité de ce que recouvrent les préoccupations esthétiques chez les femmes fait l’objet d’un déni stupéfiant. L’image de la femme équilibrée, épanouie, à la fois active et séductrice, se démenant pour ne rater aucune des opportunités que lui offre notre monde moderne et égalitaire, constitue une sorte de vérité officielle à laquelle personne ne semble vouloir renoncer.

Pendant ce temps, sans qu’on y prenne garde, notre vision de la féminité se réduit de plus en plus à une poignée de clichés mièvres et conformistes. La dureté de l’époque aidant, la tentation est grande de se replier sur ses vocations traditionnelles : se faire belle et materner (chapitre 1). Le cinéma est gangrené par le phénomène des « égéries », ces actrices sous contrat avec un parfumeur, un maroquinier ou une marque de cosmétiques, et plus préoccupées de soigner leur image de porte-manteau maigrichon tiré à quatre épingles que d’étendre la palette de leur jeu. Le succès des blogs mode ou beauté témoigne lui aussi d’un horizon mental saturé par les crèmes et les chiffons (chapitre 3).

Au-delà des belles images, l’omniprésence de modèles inatteignables enferme nombre de femmes dans la haine d’elles-mêmes, dans des spirales ruineuses et destructrices où elles laissent une quantité d’énergie exorbitante. L’obsession de la minceur trahit une condamnation persistante du féminin, un sentiment de culpabilité obscur et ravageur (chapitre 4). La crainte d’être laissée pour compte fait naître le projet de refaçonner par la chirurgie un corps perçu comme une matière inerte, désenchantée, malléable à merci, un objet extérieur avec lequel le soi ne s’identifie en aucune manière (chapitre 5). Enfin, la mondialisation des industries cosmétiques et des groupes de médias aboutit à répandre sur toute la planète le modèle unique de la blancheur, réactivant parfois des hiérarchies locales délétères (chapitre 6).

Les conséquences de cette aliénation sont loin de se limiter à une perte de temps, d’argent et d’énergie. La peur de ne pas plaire, de ne pas correspondre aux attentes, la soumission aux jugements extérieurs, la certitude de ne jamais être assez bien pour mériter l’amour et l’attention des autres, traduisent et amplifient tout à la fois une insécurité psychique et une autodévalorisation qui étendent leurs effets à tous les domaines de la vie des femmes. Elles les amènent à tout accepter de leur entourage ; à faire passer leur propre bien-être, leurs intérêts, leur ressenti, après ceux des autres ; à toujours se sentir coupables de quelque chose ; à s’adapter à tout prix, au lieu de fixer leurs propres règles ; à ne pas savoir exister autrement que par la séduction, se condamnant ainsi à un état de subordination permanente ; à se mettre au service de figures masculines admirées, au lieu de poursuivre leurs propres buts. Ainsi, la question du corps pourrait bien constituer un levier essentiel, la clé d’une avancée des droits des femmes sur tous les autres plans, de la lutte contre les violences conjugales à celle contre les inégalités au travail en passant par la défense des droits reproductifs.

En France, cependant, cette question est toujours restée dans l’angle mort ; elle suscite plutôt l’indifférence. Les féministes, contrairement à leurs homologues américaines, ne s’en sont jamais vraiment emparées, y voyant, au mieux, un enjeu secondaire (1). À leur relatif désintérêt s’ajoute l’absence d’une tradition française d’étude de la culture de masse, considérée comme un objet scientifique indigne, anodin ou vulgaire — ou les deux. Or les films, les feuilletons, les émissions de télévision, les jeux, les magazines, parce qu’ils impliquent une relation affective, ludique, aux représentations qu’ils proposent, parce qu’ils mettent en branle les pouvoirs de la fiction et de l’imaginaire, informent en profondeur la mentalité de leur public, jeune et moins jeune.

Dans ce contexte, un magazine comme Elle peut se proclamer féministe sans (toujours) susciter l’hilarité, et une Elisabeth Badinter juger les représentations publicitaires inoffensives sans voir son crédit entamé. Il a fallu attendre la parution de son livre sur les dérives supposées de l’écologie, en 2010, pour que sa qualité d’actionnaire principale de Publicis, troisième groupe mondial de publicité, soit mise en avant, après avoir longtemps été éclipsée par le prestige du nom de son mari (2). De même, en 2011, les commentaires suscités par les soutiens-gorge ampliformes pour fillettes ou les mini-spas se contentaient souvent d’accuser le « marketing ». Cette explication nous fait penser aux blagues racistes ou misogynes dont l’auteur lance, lorsqu’il constate que son interlocuteur n’est pas vraiment plié en deux : « Oh, mais c’est de l’humouuur ! » Or il n’est pas innocent de prétendre faire vendre précisément avec ça, comme il n’est pas innocent de prétendre faire rire avec ça.

La calamité du « féminisme à la française »

Mais faut-il parler d’indifférence ou d’acquiescement ? Amorcer une critique de l’aliénation féminine à l’obsession des apparences fait immédiatement surgir dans les esprits le pire cauchemar des essayistes germanopratins : la féministe américaine, char d’assaut monté sur des baskets — pointure 44 — qui exhibe ses poils aux jambes, passe son temps à se couvrir la tête de cendres en dévidant d’une voix caverneuse sa litanie « victimaire » et vous intente un procès pour viol dès que vous la regardez dans les yeux sans son consentement explicite. Pas de ça chez nous ! De toute façon, nous explique-t-on pour mieux conjurer ce spectre funeste, on n’en a pas besoin, car la France, elle, a su œuvrer pour l’égalité des sexes tout en préservant le délicieux frisson des rapports de séduction — c’est à se demander comment font les Américains pour continuer à se reproduire.

Pour le démontrer, Pascal Bruckner, dans La Tentation de l’innocence, paru en 1995, convoque pêle-mêle Louise Labé, les Précieuses, les libertins et les troubadours (3). Dans Les Mots des femmes, la même année, Mona Ozouf tente elle aussi d’expliquer pourquoi le « discours du féminisme extrémiste » trouve, par bonheur, si peu d’écho en France (4). En 2006, Claude Habib, une spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle, lui emboîte le pas avec un hommage — qu’elle lui dédie — à la « galanterie française » (5). « Bien des féministes n’ont pas reculé devant le rôle de rabat-joie, y déplore-t-elle, ignorant apparemment combien c’est classique avec ces garces. Elles ont attaqué l’hypothèse galante en brandissant le fait des crimes sexuels qui se commettent en France : si des violences contre les femmes se produisent ici comme ailleurs, c’est que la prétendue entente des sexes est une duperie. » Et pourtant, argue-t-elle, « il n’est pas impensable qu’une même société abrite, sur un même sujet, la délicatesse et la brutalité. Ainsi, depuis la seconde moitié du XXe siècle, le souci des animaux domestiques et la maltraitance des animaux d’élevage se sont développés parallèlement ». De l’art de choisir ses comparaisons...

De surcroît, on sous-estime les vertus quasi thaumaturgiques exercées par la galanterie — véritable poudre de perlimpinpin — sur les aspects contrariants que pourrait présenter la condition des femmes françaises : « Au sein de leurs foyers, même si les Françaises travaillent, elles ne servent pas. Elles font ce qu’il leur plaît de faire. Sans nous en rendre compte, nous sommes habituées à un régime d’égards. Il est exclu qu’un mari parle à sa femme comme à une servante. » Monsieur est trop bon. Au moins, les partis pris sont clairs, et l’homophobie s’affiche tranquillement (6) : « Au malaise qui touche le caractère national dans son ensemble s’ajoute, dans le cas de la galanterie, un second facteur de fragilité : le grave ébranlement des identités sexuelles qu’ont produit la contestation féministe puis l’affirmation des homosexualités. »

La théorie de l’« exception française » suit toujours le même schéma discursif : on commence par concéder qu’il reste des progrès à faire, sans trop se fouler non plus pour dissimuler que ça ne nous empêche pas vraiment de dormir, puis on enchaîne très vite en soulignant les progrès inouïs qui ont quand même été accomplis. On en conclut que, dans ce contexte éminemment satisfaisant, celles qui continuent le combat ne peuvent être que des mégères enragées et hystériques que seul le ressentiment fait jouir, et qui cherchent à obtenir un traitement de faveur plutôt que l’égalité (puisqu’elles l’ont déjà !) ; mais, heureusement, elles vivent très loin, là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique. Quelques citations apocalyptiques où certaines d’entre elles comparent la violence contre les femmes à un génocide, qu’on assortira de flots de protestations indignées, permettront de noyer définitivement le poisson. Elles achèveront de vacciner les mignonnes petites Françaises qui seraient tentées d’imiter ces sorcières. Il n’y aura plus qu’à persuader les gourdes qu’elles sont des femmes libérées, qu’elles ont bien de la chance, et qu’elles feraient mieux d’aller dévaliser les boutiques tout en versant une larme sur le sort des pauvres Afghanes. Et qu’elles ne viennent pas nous emmerder pour un mannequin nu à quatre pattes sur un panneau de quatre fois trois mètres.

Notre thèse sera ici que la célébration des « rapports de séduction à la française », que l’on a vue ressurgir, en même temps que la condamnation du « puritanisme américain », lors des affaires Polanski et Strauss-Kahn, en 2009 et en 2011, traduit le désir de maintenir les femmes dans une position sociale et intellectuelle subalterne ; elle est, pour ceux qui la défendent, une manière de nier la subjectivité féminine et de protéger leur monopole de la péroraison (chapitre 7). On a affaire avec ces discours à une banale réaction antiféministe, qui fait semblant de confondre remise en cause d’un ordre social et hostilité envers les hommes. Alors que ses prédécesseurs avaient simplement travesti ce postulat en chauvinisme, Badinter, en 2003, réussira la prouesse de le travestir en féminisme ; elle se référera d’ailleurs à La Tentation de l’innocence de Bruckner dès les premières pages de Fausse route (7). Dans son attitude, le réflexe de classe et la mise à distance dédaigneuse de la masse des femmes prennent clairement le pas sur la démarche féministe. La journaliste Sylvie Barbier nous livre le résultat de cette opération idéologique, tel qu’on le retrouve dans la bouche du directeur d’un magazine féminin s’adressant à sa nouvelle rédactrice en chef : « La guerre des sexes c’est fini, les psychos qui se moquent des hommes aussi, on rêve de réconciliation, non ? Françoise, excuse, Evelyne [sic] Badinter elle-même l’affirme : le vrai féminisme, c’est un combat qui doit se mener avec les hommes, pas contre eux. La lutte pour l’autonomie est également terminée, nous allons tourner la page et projeter une vision réconciliée de la féminité (8). »

À ce conservatisme viscéral s’ajoute le fait que la femme française est un trésor national, quasiment une marque déposée. Elle a pour noble mission de perpétuer l’image d’élégance associée au pays, ne serait-ce que pour servir le rayonnement international des deux géants français du luxe, Moët Hennessy Louis Vuitton (LVMH), le groupe de Bernard Arnault, et Pinault Printemps Redoute (PPR), celui de François Pinault (propriétaire notamment de Gucci et d’Yves Saint Laurent). En a encore témoigné, en 2005, le succès mondial du livre de Mireille Guiliano French Women Don’t Get Fat (Les femmes françaises ne grossissent pas) (9). L’ancienne PDG des champagnes Veuve Clicquot (groupe LVMH) aux États-Unis y recommande « le pain, le champagne, le chocolat et l’amour comme les ingrédients clés d’une vie et d’un régime équilibrés ». Idée géniale : exploiter en même temps la fascination des Américains pour les clichés sur l’art de vivre à la française, l’obsession des femmes pour les régimes et leur goût des « secrets » partagés (elles en ont bien besoin, les pauvres). Quant à la figure mythique de la Parisienne, elle est incarnée par Inès de la Fressange, mannequin vedette de Chanel dans les années 1980 et modèle pour le buste de Marianne en 1989. En 2011, son guide La Parisienne — cosigné avec une journaliste de Elle —, mélange de conseils vestimentaires et de bonnes adresses, grand succès de librairie, s’est exporté en Grande-Bretagne et aux États-Unis. On y apprend par exemple qu’il ne faut pas porter un collier en diamants « sur une robe noire le soir », mais « sur une chemise en jean le jour (10) ». Ce qui, personnellement, m’a évité de commettre un terrible impair.

Toutefois, il faut bien l’avouer : une fois qu’on a lu Susan Bordo, Eve Ensler, Laurie Essig, Susan Faludi ou Naomi Wolf (11), la Parisienne apparaît pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une sorte de Nadine de Rothschild en moins joufflue et en plus chic. Même celle qui prête le plus le flanc à la caricature, Naomi Wolf, auteure en 1990 du best-seller The Beauty Myth (Le Mythe de la beauté), multiplie les intuitions et les analyses brillantes. On regrette, en refermant les livres de toutes ces essayistes remarquables, qu’elles n’aient jamais été traduites en français — à l’exception d’Ensler, grâce au succès mondial des Monologues du vagin. Il est vrai que si elles l’étaient, les Françaises pourraient bien s’inspirer de leur intelligence flamboyante, de leur clairvoyance, de leur humour, du mélange de rigueur et de passion avec lequel elles prennent à bras-le-corps la réalité dans laquelle elles sont plongées, transformant des préoccupations intimes en souci du bien commun, forgeant de puissants outils de compréhension et de libération pour toutes. Elles pourraient commencer à raisonner, à contester ; elles pourraient se mettre en tête de devenir des personnes, les insolentes. Puisse le ciel nous épargner encore longtemps une pareille catastrophe.

Source originale : Périphéries, sous le titre « Prospérité de la potiche - "Beauté fatale", un essai de Mona Chollet ». Publié sur Sisyphe avec l’autorisation de l’auteure.

 Le texte intégral est en libre accès sur le site de l’éditeur. Un compte Seenthis permet également de suivre l’actualité des thèmes développés dans le livre.

Notes

1. Parmi les exceptions, citons Anne-Marie Dardigna, La presse “féminine”. Fonction idéologique, Petite collection Maspero, Paris, 1978 ; Ilana Löwy, L’Emprise du genre. Masculinité, féminité, inégalité, La Dispute, Paris, 2006 ; et l’ouvrage en deux volumes du collectif Ma colère, Mon corps est un champ de bataille, Ma colère, Lyon, 2004 et 2009.
2. Lire Marie Bénilde, « Publicis, un pouvoir », Le Monde diplomatique, juin 2004.
3. Pascal Bruckner, La Tentation de l’innocence, Grasset, Paris, 1995.
4. Mona Ozouf, Les Mots des femmes. Essai sur la singularité française, Gallimard, « Tel », Paris, 1995.
5. Claude Habib, Galanterie française, Gallimard, Paris, 2006. De même pour les citations suivantes.
6. Voir aussi le florilège établi par Act Up Paris : « Claude Habib et Irène Théry, les pauvres filles de l’ANRS », Actupparis.org, mars 2000.
7. Elisabeth Badinter, Fausse route, Odile Jacob, Paris, 2003.
8. Sylvie Barbier, La bimbo est l’avenir de la femme, Denoël, coll. « Indigne », Paris, 2006.
9. Mireille Guiliano,
French Women Don’t Get Fat. The Secret of Eating for Pleasure
, Vintage, New York, 2007 [2005].
10. Inès de la Fressange (avec Sophie Gachet), La Parisienne, Flammarion, Paris, 2010.
11. Signalons aussi le livre de Joan Jacobs Brumberg The Body Project : An Intimate History of American Girls, Random House, New York, 1997, ainsi que le travail de la photographe Lauren Greenfield : Girl Culture (2002) et Thin (2006).

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 mars 2012



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Mona Chollet, Périphéries



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